Il n’existe pas pour nom ; si nous disons un peu imprudemment qu’il n’existe pas du tout, il n’y a pas grand mal à cela. […] Tous les maux, tous les vices de l’homme, viennent de la société, qui a inventé la religion, les puissances, les distinctions, la hiérarchie, la richesse, c’est-à-dire l’oppression des uns, la tyrannie des autres, de la corruption et de la misère pour tous, — qui a inventé surtout la morale. […] Tout ce qui est utile à l’humanité est bien ; tout qui est nuisible à l’humanité est mal ; ce qui ne fait ni bien ni mal à personne est indifférent ; que je mente, que je me grise, ou pis, qu’importe, si ces actes sont sans effets, sans prolongements funestes au dehors ?
Représenter la beauté, glorifier la beauté, c’est glorifier la nature, c’est-à-dire la passion, c’est-à-dire le mal. […] À cette seule condition, elle est bonne et louable. » Le mal, c’est l’individuation, le bien c’est la dépersonnalisation. […] Voir aussi Nietzsche : Par-delà le Bien et le Mal et surtout la partie de La Volonté de puissance où Nietzsche expose sa physiologie de l’art. D’après Nietzsche, la beauté est le signe auquel se reconnaissent les nobles exemplaires humains, à un degré supérieur ces « superbes plantes tropicales, ces êtres d’élite qui pourront s’élever jusqu’à une tâche plus noble et jusqu’à une existence plus noble, semblables à cette plante grimpante d’Asie, ivre de soleil — on la nomme Sipo-matador — qui enserre un chêne de ses lianes multiples, tant qu’enfin, bien au-dessus de lui, mais appuyée sur ses branches, elle puisse développer sa couronne dans l’air libre, étalant son bonheur aux regards de tous » (Par-delà le Bien et le Mal).
Ce mal ne se corrige pas par des règlements, puisque le mal est précisément le règlement lui-même. […] Réfléchissez donc un instant à ce que vous voulez faire et songez que c’est la chose impossible par excellence, celle que depuis le commencement du monde tous les conservateurs intelligents ont tentée sans y réussir : arrêter l’esprit humain, assoupir l’activité intellectuelle, persuader à la jeunesse que toute pensée est dangereuse et tourne à mal. […] J’en ai vu qui, s’imaginant, que le mal venait de l’Allemagne, regrettaient qu’il n’y eût pas eu une inquisition contre Kant, Hegel et Strauss.
Enfin, je ne vois pas ce que Vigny a fait, dans l’ordre “métrique”, par souci d’harmoniser la forme avec la pensée qu’elle traduisait : une forme, chez un poète, ne traduit jamais une pensée, c’est la critique qui traduit par des pensées les formes indivisibles qu’a créées le poète, — et s’il y a quelques exceptions, si la forme et la pensée parfois se distinguent, se raccordent mal, chevauchent sensiblement, il se trouve que Vigny, plus que personne, nous les fournirait. » Je ne puis signaler tous les détails de ce genre, qui arrêtent et étonnent désagréablement le lecteur. […] Il a tant bien que mal agencé en corps de doctrine les réflexions, les élucubrations, parfois les divagations de chacun sur la chose poétique. […] À moins qu’en bon voltairien, il ne considère ce qui se comprend mal comme un équivalent de la métaphysique… disons, à sa décharge, que des critiques se sont unis à ces poètes pour nous duper. […] De là enfin l’effort du vers mal dit « libre » pour briser, ce qui était nécessaire, sous la poussée d’un rythme natif et frais, d’une parole élémentaire, les cadres consacrés du mètre.
Avides de terres, de jardins, de chevaux, d’esclaves, ils volaient, pillaient, forçaient de vendre ; les uns ne daignaient pas mettre un prix à l’objet de leurs rapines, d’autres le mettaient au-dessous de la valeur ; ceux-ci différaient de payer de jour en jour ; ceux-là après avoir dépouillé l’orphelin, comptaient pour paiement tout le mal qu’ils ne lui faisaient pas… C’est par ces voies qu’ils rendaient pauvres les citoyens riches, et qu’eux-mêmes devenaient riches, de pauvres qu’ils étaient. […] Il n’y a personne dont on ait dit ni plus de bien, ni plus de mal que de Julien. […] On sait qu’à l’humanité de détail qui soulage dans le moment le malheureux qui souffre, il joignit cette humanité plus étendue qui prévoit les maux, rétablit l’ordre, substitue les grandes vues à la pitié, et sans le secours de cette sensibilité d’organes qui est aussi souvent une faiblesse qu’une vertu, sait faire un bien même éloigné, et s’attendrir sur des malheurs qu’elle ne voit pas. Ainsi, il s’occupa du soulagement des peuples ; mais d’autres empereurs qui eurent les mêmes vues, n’étant pas contredits sur le trône, purent être humains impunément : Julien, longtemps César, assujetti dans son pouvoir même à un tyran jaloux, qui l’avait créé par besoin et le haïssait par faiblesse, qui lui eût permis de faire le mal pour se déshonorer, et craignait qu’il ne fît le bien, qui, tout à la fois barbare et lâche, désirait que les peuples fussent malheureux, pour que le nouveau César fût moins redoutable ; Julien, environné dans les Gaules, des ministres de cette cour, qui étaient moins ses officiers que ses ennemis, et déployaient contre lui cette audace qui donne à des tyrans subalternes le secret de la cour, et l’orgueil d’être instruments et complices de la volonté du maître ; Julien enfin, traversé en tout par ces hommes qui s’enrichissent de la pauvreté publique, eut bien plus de mérite à arrêter les abus et à soulager les provinces.