Il faut ne pas contrarier son maître, et le servir dans son goût, surtout lorsque les circonstances rendent tout autre parti impossible ou dangereux.
Je vous prie de communiquer ma lettre à notre cher maître (Sieyès), si vous lui avez montré la vôtre.
, a dit Voltaire par un mot qui résume tout, et qui insinue le correctif dans la louange ; il a dit autre part du président en des termes tout flatteurs : « Il a été dans l’histoire ce que Fontenelle a été dans la philosophie ; il l’a rendue familière. » Il faut bien, au reste, se garder de prendre à la lettre tous les éloges que Voltaire donne au président en ces années où il croyait avoir besoin de lui en Cour, le président étant devenu surintendant de la maison de la reine ; il ne l’appelle pas seulement un homme charmant, à qui il dit : « Vous êtes aimé comme Louis XV » ; il le déclare son maître, « le seul homme qui ait appris aux Français leur histoire », et qui y a trouvé encore le secret de plaire.
Il était réellement sous le charme : il l’admirait, il la proclamait sublimée, il la trouvait belle ; il se plaît, dans ses lettres à Falkener, à donner son adresse chez elle, au château de Cirey : « Là, disait-il, vit une jeune dame, la marquise du Châtelet, à qui j’ai appris l’anglais, etc. » Trois choses pourtant me gâtent Cirey, a dit un fin observateur : — d’abord, cette manie de géométrie et de physique qui allait très peu à Voltaire, qui n’était chez lui qu’une imitation de la marquise, et par laquelle il se détournait de sa vocation vraie et des heureux domaines où il était maître ; — en second lieu ces scènes orageuses, ces querelles de ménage soudaines, rapides mais burlesques, dont nous sommes, bon gré mal gré, informés, et qui faisaient dire à un critique de nos jours qu’il n’aurait jamais cru que l’expression à couteaux tirés fût si près de n’être pas une métaphore ; — en troisième lieu, cette impossibilité pour Voltaire, même châtelain, même amoureux, même physicien et géomètre de rencontre, de n’être pas un homme de lettres depuis le bout des nerfs jusqu’à la moelle des os ; et dès lors ses démêlés avec les libraires, ses insomnies et ses agitations extraordinaires au sujet des copies de La Pucelle (voir là-dessus les lettres de Mme de Grafigny), ses fureurs et ses cris de possédé contre Desfontaines et les pamphlets de Paris.
En ce qui est du Siècle de Louis XIV, il s’est tout à fait mépris sur le mérite de ce bel et facile ouvrage, et il nous fait sourire quand, prenant un ton de maître et de régent avec Voltaire, il lui dit : Pour remplir votre objet, il fallait offrir à votre lecteur le spectacle de l’univers depuis 1640 jusqu’en 1720, et non lui présenter l’épitome du règne de Louis XIV.