Voyez, pesez… Ce n’était pas consulter assez l’humeur particulière de Sieyès que de croire qu’il s’associerait si aisément avec des collaborateurs de rencontre et non de son choix ; Sieyès ne se mêle pas volontiers aux autres. […] Il l’adresse, sous forme de lettre, à son jeune ami Adrien de Lezay que Chénier avait mêlé d’un bout à l’autre dans la même satire. […] C’est là que le premier consul a montré cette puissance d’attention et cette sagacité d’analyse qu’il peut porter vingt heures de suite sur une même affaire, si sa complication l’exige, ou sur divers objets, sans en mêler aucun, sans que le souvenir de la discussion qui vient de finir, la préoccupation de celle qui va suivre le distraient le moins du monde de la chose à laquelle il est actuellement occupé.
Les lettres de ce genre sont le plus souvent d’une lecture assez fade pour les indifférents : « Ce qui fait que les amants et les maîtresses ne s’ennuient point d’être ensemble, a dit La Rochefoucauld, c’est qu’ils parlent toujours d’eux-mêmes. » La flamme seule et la rapidité de la passion a sauvé quelques lettres de la Religieuse portugaise du sort commun aux lettres d’amour, qui est d’ennuyer bientôt ceux qui n’y sont pas mêlés ; Mlle de Lespinasse, dans les siennes, est quelquefois importune au lecteur presque autant qu’à M. de Guibert ; elle a des longueurs. […] On lui reprochait dès longtemps de se mêler trop aux plaisirs de M. le Duc (son demi-beau-frère) et d’avoir été pour ce jeune prince le contraire d’un mentor. […] On voit que Lassay, quand il se mêle d’envisager et de définir, a bien de la netteté dans le trait, de la finesse et de la précision décisive dans l’esprit.
Bayle que dix pages des siennes. » Ce même Basnage, qui avait écrit une Histoire des Juifs, avait mêlé les réflexions et la critique au récit ; il avait fait le philosophe dans une histoire, ce que Marais estimait une confusion, tellement que l’un, disait-il, dégoûterait de l’autre, si l’on n’était soutenu par la nouveauté du sujet : « Notre ami (c’est-à-dire Bayle) a bien senti ce dégoût, ajoutait-il ; aussi a-t-il mis la partie historique à part ; mais il y a des gens qui croient plaire par tout ce qu’ils font et qui ne veulent pas étudier le goût des autres. […] y fut mêlé et s’en ressentit. […] Quand on vient comme moi de relire tant de pages que le temps a déjà fanées et qu’on sort de tous ces noms qui circulaient alors et qui signifiaient quelque chose, Basnage, l’abbé Le Clerc, Sorbière, Bouhier lui-même, Bayle, une tristesse vous prend, et je suis frappé de ceci : c’est qu’il n’en est pas un seul dont j’osasse conseiller aujourd’hui à mes propres lecteurs la lecture immédiate et pour un agrément mêlé d’instruction ; car tout cela est passé, bon pour les doctes et les curieux seulement, pour ceux qui n’ont rien de mieux à faire que de vivre dans les loisirs et les recherches du cabinet.
J’ai, donc souvent cherché depuis quelques années (toutes les fois du moins qu’un peu de tranquillité me permettait de regarder autour de moi et de voir autre chose et plus loin que la petite mêlée dans laquelle j’étais engagé), j’ai cherché, dis-je, quel sujet je pourrais prendre ; et jamais je n’ai rien aperçu qui me plût complètement ou plutôt qui me saisît. […] L’une de celles qui me troublent le plus l’esprit vient du mélange d’histoire proprement dite avec la philosophie historique ; je n’aperçois pas encore comment mêler ces deux choses (et il faut pourtant qu’elles le soient, car on pourrait dire que la première est la toile, et la seconde la couleur, et qu’il est nécessaire d’avoir à la fois les deux pour faire le tableau) ; je crains que l’une ne nuise à l’autre, et que je ne manque de l’art infini qui serait nécessaire pour bien choisir les faits qui doivent, pour ainsi dire, soutenir les idées ; en raconter assez pour que le lecteur soit conduit naturellement d’une réflexion à une autre par l’intérêt du récit, et n’en pas trop dire, afin que le caractère de l’ouvrage demeure visible. […] Je n’ai pas de traditions, je n’ai pas de parti, je n’ai point de cause, si ce n’est celle de la liberté et de la dignité humaine : de cela, je suis sûr ; et pour un travail de cette sorte, une disposition et un naturel de cette espèce sont aussi utiles qu’ils sont souvent nuisibles quand il s’agit, non plus de parler sur les affaires humaines, mais de s’y mêler. » J’en demande pardon à Tocqueville : au moment où il dit qu’il n’a point de cause, il déclare assez qu’il en a une, et cette cause, telle qu’il vient de la définir, était pour lui une religion.
De composition et d’art dans le cours de son premier ouvrage, non plus que dans les suivants, il n’y en a pas l’ombre ; le marquis raconte ce qui lui est arrivé, à lui, et ce que d’autres lui ont raconté d’eux-mêmes ; tout cela se mêle et se continue à l’aventure ; nulle proportion de plans ; une lumière volontiers égale ; un style délicieux, rapide, distribué au hasard, quoique avec un instinct de goût inaperçu ; enjambant les routes, les intervalles, les préambules, tout ce que nous décririons aujourd’hui ; voyageant par les paysages en carrosse bien roulant et les glaces levées ; sautant, si l’on est à bord d’un vaisseau, sur une infinité de cordages et d’instruments de mer, sans désirer ni savoir en nommer un seul, et, dans son ignorance extraordinaire, s’épanouissant mille fois sur quelques scènes de cœur, renouvelées à profusion, et dont les plus touchantes ne sont pas même encadrées. […] Il en faut dire autant de l’inclination du vieux marquis pour la belle milady R… Prévost n’a voulu que rendre son héros perplexe et intéressant : le comique s’y est glissé à son insu, mais un comique délicat à saisir, tempéré d’aménité, que le respect domine, que l’attendrissement fait taire, et comme il s’en mêle dans Goldsmith au personnage excellent de Primerose. […] Il ressuscite avec ampleur, après Louis XIV, après cette précieuse élaboration de goût et de sentiments, ce que d’Urfé et mademoiselle de Scudery avaient prématurément déployé ; et bien que chez lui il se mêle encore trop de convention, de fadeur et de chimère, il atteint souvent et fait pénétrer aux routes secrètes de la vraie nature humaine ; il tient dans la série des peintres du cœur et des moralistes aimables une place d’où il ne pourrait disparaître sans qu’on aperçût un grand vide.