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601. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Bernardin de Saint-Pierre »

Mais la nouveauté était aussi dans sa manière et dans son pinceau ; il mêlait aisément aux tableaux qu’il offrait des objets naturels, le charme des plus délicieux reflets ; il avait le pathétique, l’onction dans le pittoresque, la magie. […] Sans parler du poète Robbé qui se mêlait d’avoir des idées là-dessus, plus d’un chaud partisan se déclara pour le système des marées, la fonte des glaces, l’allongement du pôle. […] Mais, scientifiquement parlant, son point de vue n’était qu’un aperçu heureux, instantané, un ensemble mêlé de lueurs vraies et de jours faux, et d’où il ne pouvait sortir autre chose que la peinture même qu’il en offrait, et l’impression enthousiaste, affectueuse, qu’elle ferait naître. […] Dans les descriptions, les odeurs se mêlent à propos aux couleurs, signe de délicatesse et de sensibilité qu’on ne trouve guère, ce me semble, chez un poëte moderne le plus prodigue d’éclat63. — Des groupes dignes de Virgile peignant son Andromaque dans l’exil d’Épire ; des fonds clairs comme ceux de Raphaël dans ses horizons d’Idumée ; la réminiscence classique, en ce qu’elle a d’immortel, mariée adorablement à la plus vierge nature ; dès le début un entrelacement de conditions nobles et roturières, sans affectation aucune, et faisant berceau au seuil du tableau ; dans le style, bien des noms nouveaux, étranges même, devenus jumeaux des anciens, et, comme il est dit, mille appellations charmantes  ; sur chaque point une mesure, une discrétion, une distribution accomplie, conciliant toutes les touches convenantes et tous les accords !

602. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIVe entretien. Madame de Staël. Suite »

« Les écrivains sans enthousiasme ne connaissent, de la carrière littéraire, que les critiques, les jalousies, tout ce qui doit menacer la tranquillité, quand on se mêle aux passions des hommes ; ces attaques et ces injustices font quelquefois du mal ; mais la vraie, l’intime jouissance du talent, peut-elle en être altérée ? […] Un intérêt intime se mêlait alors en elle à l’anxiété publique ; quelques jours auparavant son âme était tout entière à des soins de famille, à l’union la plus digne préparée pour sa fille, à la pensée du jeune homme de si noble nom et de si grandes espérances que sa fille et elle avaient choisi, et maintenant c’était des apprêts d’une fuite nouvelle, l’attente d’un nouvel ébranlement de l’Europe, d’une ruine publique où pouvait s’abîmer tout bonheur privé, qui de toutes parts obsédaient cette âme active, que les incertitudes ordinaires de la vie suffisaient à troubler parfois jusqu’à la souffrance. […] Octave de Ségur, parti pour rejoindre, comme aide de camp, le maréchal, à Lons-le-Saulnier, sa réponse était un sourire d’une tristesse inexprimable, elle serra longtemps la main de M. de Lafayette, et lui dit devant deux amis qui mêlaient leurs vœux aux siens. « Dans ce cahot prochain, vous devez demeurer, vous devez paraître, pour résister au nom du droit et représenter 1789. […] Fille d’un ministre dont elle respira en naissant la popularité, favorite d’une nation qui flattait en elle son père, élevée sur les genoux des grands, des philosophes, des poëtes, habituée à entendre les premiers balbutiements de sa pensée applaudis comme des oracles de talent ; mêlée, sans en être trop rudoyée, au commencement d’une révolution qui grandit tout ce qu’elle touche, ses apôtres comme ses victimes ; abritée de la hache pendant les proscriptions par le toit paternel, au sein d’une nature poétique, écrivant dans le silence de cette opulente retraite des ouvrages politiques ou littéraires égaux aux plus beaux monuments de son siècle ; ne subissant qu’un peu les inconvénients de trop de gloire, en butte à une de ces persécutions modérées qui méritent à peine le nom de disgrâce, et qui donnent à celle qui les subit la grâce de la victoire sans les rigueurs de l’adversité ; vengée par l’Europe, de son ennemi, qu’elle a la consolation de voir tomber et de plaindre, remplissant le monde de son bruit, et mourant encore aimée dans son triomphe et dans son amour.

603. (1834) Des destinées de la poésie pp. 4-75

Qui m’aurait dit alors, que quinze ans plus tard, la poésie inonderait l’âme de toute la jeunesse française, qu’une foule de talents d’un ordre divers et nouveau, auraient surgi de cette terre morte et froide ; que la presse multipliée à l’infini ne suffirait pas à répandre les idées ferventes d’une armée de jeunes écrivains ; que les drames se heurteraient à la porte de tous les théâtres ; que l’âme lyrique et religieuse d’une génération de bardes chrétiens inventerait une nouvelle langue pour révéler des enthousiasmes inconnus ; que la liberté, la foi, la philosophie, la politique, les doctrines les plus antiques comme les plus neuves, lutteraient, à la face du soleil, de génie, de gloire, de talents et d’ardeur, et qu’une vaste et sublime mêlée des intelligences, couvrirait la France et le monde du plus beau comme du plus hardi mouvement intellectuel qu’aucun de nos siècles eût encore vu ? […] Partout où l’œil tombait, il voyait la vallée, la montagne, les précipices s’animer pour ainsi dire sous son regard, et une scène de vie, de prière, de contemplation, se détacher de ces masses éternelles, ou s’y mêler pour les consacrer. […] Les cloches sonnèrent de toutes parts l’heure du recueillement et des offices du soir ; les unes avec la voix forte et vibrante des grands vents sur la mer, les autres avec les voix légères et argentines des oiseaux dans les champs de blé ; celles-ci plaintives et lointaines comme des soupirs dans la nuit et dans le désert ; toutes ces cloches se répondaient des deux bords opposés de la vallée, et les mille échos des grottes et des précipices se les renvoyaient en murmures confus et répercutés, mêlés avec le mugissement du torrent, des cèdres, et les mille chutes sonores des sources et des cascades dont les deux flancs des monts sont sillonnés. Puis il se fit un moment de silence, et un nouveau bruit plus doux, plus mélancolique et plus grave, remplit la vallée ; c’était le chant des psaumes qui, s’élevant à la fois de chaque monastère, de chaque église, de chaque oratoire, de chaque cellule des rochers, se mêlait, se confondait en montant jusqu’à nous comme un vaste murmure, et ressemblait à une seule plainte mélodieuse de la vallée tout entière qui venait de prendre une âme et une voix ; puis un nuage d’encens monta de chaque toit, sortit de chaque grotte, et parfuma cet air que les anges auraient pu respirer.

604. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre II. Attardés et égarés »

Cependant son principal modèle a été la Diane de Montemayor, un roman espagnol en prose mêlée de vers : mais Montemayor est un des maîtres écrivains de l’Espagne italianisée, et par lui c’est, encore un reflet de la culture italienne qui illumine l’Astrée. […] la pastorale prend pied sur le sol de l’Espagne, et mêle des lieux, des noms connus à son impossible action. […] Voilà comment l’influence de la société sur la littérature française-fut mêlée de bien et de mal. […] Le roman ne suivit pas tout à fait la voie où l’avait mis D’Urfé : de pastoral il se refit héroïque, et mêla les deux traditions de l’Amadis et de l’Astrée.

605. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre deuxième »

En France, outre les obligations que lui eût imposées son rang, la température lui paraissait troubler la liberté de son esprit, et mêler un peu d’imagination à la méditation des vérités qui ne veulent être perçues que par la raison. […] On dit d’un autre qu’il est singulier, quand il rejette sans modération tout ce que l’homme à la mode adopte sans volonté, et, s’il a raison, quand il le fait trop voir, perdant ainsi, par l’orgueil qu’il y mêle, l’avantage d’être dans la raison. […] Les imitateurs ne font pas ainsi : ils n’avouent pas celui qu’ils imitent, l’imitation n’étant qu’une médiocrité d’esprit, mêlée de beaucoup de vanité, qui cache ses emprunts, ou quelquefois ne s’aperçoit même pas qu’elle emprunte. […] Son traité de l’Existence de Dieu reproduit les principales vérités de la métaphysique cartésienne, à laquelle il mêle des ornements agréables, afin d’intéresser l’imagination à des vérités de raison.

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