La raison, la loi, la littérature de ce peuple immense sont encore pour des siècles la personnification prolongée de Confucius. […] … Le peuple est inconsidéré et peu réfléchi ; il viole la loi par inadvertance, comme un enfant tombe dans un puits. […] C’est pour moi, ajoute-t-il, une angoisse de conscience de juger selon les lois et de condamner ou de pardonner avec discernement. […] L’ouvrage destiné à faciliter au peuple tout entier la connaissance de la religion, des lois, des motifs des lois, de la politique, des sciences, des arts, des métiers, de l’agriculture, du commerce, de l’industrie, est divisé en quatre cent cinquante livres. […] Les trente-deux livres suivants sont comme le tableau et le précis philosophique des lois fondamentales de l’État, des principes invariables du gouvernement et des règles générales de l’administration et de la justice.
. — Médiocre observateur de ce qui est, Bonald s’empresse de passer du fait contingent aux lois nécessaires. […] Cardaillac a pris pour un phénomène distinct une simple loi, une forme, l’association de l’idée avec le mot. […] — Cardaillac a le mérite d’avoir rattaché la parole intérieure à la mémoire, dont elle n’est, selon lui, qu’un cas particulier, et à l’habitude, aux lois de laquelle il la soumet. […] Voici la principale : « La parole intérieure n’est que le souvenir de la sensation que produit la parole extérieure. » Donc les lois du souvenir des sensations devraient être ses lois. […] Mais pourquoi se prononce-t-il aussi contre la loi purement empirique de la constance du phénomène ?
La création du monde et de l’homme, voilà la réponse chrétienne, et non pas l’éternité du monde, c’est-à-dire sa formation et ensuite sa transformation (une première matière étant donnée) en vertu de lois naturelles, éternellement existantes, constantes même dans leur infinie progression et ne dérivant que de soi. […] Mais la nature, avec ses lois établies, cède-t-elle quelquefois devant la prière ? […] c’est l’affaire de Dieu d’arranger tout cela ; sr les lois de la nature ne sont que sa volonté permanente et comme son souffle infus et continuel, il saura bien tout concilier, tout infléchir, s’il le faut, sans rien briser, tout faire arriver à bon port comme le plus habile des pilotes ; car il est à la fois le pilote et le constructeur du navire, et le maître des vents et celui des flots : il a tout prévu. […] Ne sait-il pas aussi la loi des cœurs ? […] Ce qu’on appelle instinct et qui semble à d’autres d’une portée infaillible ne trompe pas mon sage ; il y applique son analyse ; il en démêle le principe et le jeu ; il s’en rend compte d’après les lois de l’optique morale.
» — « Le bon sens ou les habitudes d’un peuple d’agriculteurs sont bien plus près des plus hautes et des plus saines notions de la politique que tout l’esprit des oisifs de nos cités, quelles que soient leurs connaissances dans les arts et les sciences physiques. » — « Les grandes propriétés sont les véritables greniers d’abondance des nations civilisées, comme les grandes richesses des Corps en sont le trésor. » Il ne cesse d’insister sur les inconvénients du partage égal et forcé entre les enfants, établi par la Révolution et consacré par le Code civil : « Partout, dit-il, où le droit de primogéniture, respecté dans les temps les plus anciens et des peuples les plus sages, a été aboli, il a fallu y revenir d’une manière ou d’une autre, parce qu’il n’y a pas de famille propriétaire de terres qui puisse subsister avec l’égalité absolue de partage à chaque génération, égalité de partage qui, un peu plus tôt, un peu plus tard, détruit tout établissement agricole et ne produit à la fin qu’une égalité de misère. » Il trace un idéal d’ancienne famille stable et puissante, qui rappelle un âge d’or disparu : « S’il y avait, dit-il, dans les campagnes et dans chaque village une famille à qui une fortune considérable, relativement à celle de ses voisins, assurât une existence indépendante de spéculations et de salaires, et cette sorte de considération dont l’ancienneté et l’étendue de propriétés territoriales jouissent toujours auprès des habitants des campagnes ; une famille qui eût à la fois de la dignité dans son extérieur, et dans la vie privée beaucoup de modestie et de simplicité ; qui, soumise aux lois sévères de l’honneur, donna l’exemple de toutes les vertus ou de toutes les décences ; qui joignît aux dépenses nécessaires de son état et à une consommation indispensable, qui est déjà un avantage pour le peuple, cette bienfaisance journalière, qui, dans les campagnes, est une nécessité, si elle n’est pas une vertu ; une famille enfin qui fût uniquement occupée des devoirs de la vie publique ou exclusivement disponible pour le service de l’État, pense-t-on qu’il ne résultât pas de grands avantages, pour la morale et le bien-être des peuples, de cette institution, qui, sous une forme ou sous une autre, a longtemps existé en Europe, maintenue par les mœurs, et à qui il n’a manqué que d’être réglée par des lois ? […] Une des réformes qu’il propose avec le plus d’insistance et d’énergie, c’est de changer la loi des successions et de rendre au père de famille l’entière liberté testamentaire, moyennant laquelle celui-ci pourrait instituer un principal héritier chargé de continuer son œuvre. […] La loi casse les testaments appelés ab irato ; mais tous ces testaments qu’on pourrait appeler a decepto, a moroso, ab imbecilli, a delirante, a superbo, la loi ne les casse point, ne peut les casser. […] D’autres font un autre genre d’objections qui couperait l’idée à sa racine, et ils disent : Quand vous accorderiez la liberté de tester au père de famille, l’égalité est si bien passée dans nos mœurs, dans notre manière de voir et de sentir, que l’immense majorité des pères n’en userait que dans le sens du droit établi et dans l’esprit de la loi actuelle ; et rien ne serait changé.
Il y a dans sa conduite d’alors et dans sa tendance d’aujourd’hui cette véritable, cette seule ressemblance, à savoir qu’il ne s’est jamais borné et même qu’il n’a guère jamais aimé à envisager le christianisme, comme tant de grands saints l’ont fait, par le côté purement intérieur et individuel, par le point de vue du salut de l’âme et des âmes prises une à une, mais qui l’a embrassé toujours de préférence (et en exceptant, si l’on veut, son Commentaire sur l’Imitation et sa traduction de Louis de Blois) par le côté social, par son influence sur la masse et sur l’organisation de la société ; et c’est ainsi qu’il se portait avant tout pour la défense des grands papes et des institutions catholiques. « Jésus-Christ, disait-il en 1826, ne changea ni la religion, ni les droits, ni les devoirs ; mais, en développant la loi primitive, en l’accomplissant, il éleva la société religieuse à l’état public, il la constitua extérieurement par l’institution d’une merveilleuse police, etc. » Toutefois les moyens que M. de La Mennais proposait et exaltait jusqu’à la veille de juillet 1830 étaient, il faut le dire, séparés du temps actuel et de sa manière de penser présente par un abîme. […] Odilon Barrot défend un citoyen qui n’a pas voulu tapisser sa maison un jour de Fête-Dieu, l’abbé de La Mennais accuse l’avocat de prêcher une loi athée. […] Les doctrines religieuses, morales et politiques, les lois et les institutions qu’elles avaient consacrées, formaient comme un vaste édifice, demeure commune de la grande famille européenne. […] Du Fossé, voulant peindre dans le grand Arnauld cette colère de lion pour la vérité qui s’unissait en son cœur avec la douceur de l’agneau, nous dit naïvement : « L’exemple seul de Moïse, que Dieu appelle le plus doux de tous les hommes, quoiqu’il eût tué un Égyptien pour défendre un de ses frères, brisé par une juste colère les Tables de la Loi, et fait passer au fil de l’épée vingt-trois mille hommes pour punir l’idolâtrie de son peuple, fait bien voir qu’on peut allier ensemble la douceur d’une charité sincère envers le prochain avec un zèle plein d’ardeur pour les intérêts de Dieu. » En ne prenant les vingt-trois mille hommes et l’Égyptien tués qu’en manière de figure, comme il convient dans ce qui est de l’ancienne Loi, et en rapportant à l’abbé de La Mennais cette phrase de Du Fossé sur le grand Arnauld, je me rappelais bien que lui-même avait condamné ce dernier, et qu’il avait écrit de lui en le comparant à Tertullien : « Et Tertullien aussi avait des vertus ; il se perdit néanmoins parce qu’il manqua de la plus nécessaire de toutes, d’humilité. […] Le talent, ce don, cet instrument un peu particulier et qui ne suit pas nécessairement la loi de la vérité intérieure, a gagné chez M. de La Mennais en souplesse, en variété, en grâce et en coloris, sans perdre en force, à mesure que sa rigueur de foi a été davantage ébranlée.