Par respect pour les nouveaux Oracles de notre Littérature, nous nous garderons bien d’avancer des assertions si absurdes. […] Quoiqu’on n’ait cessé de lui dire qu’il ne sauroit trop respecter ces hommes qui honorent notre Nation par leur Littérature, autant que par leurs lumieres & leurs vertus ; il n’a pas craint de les qualifier d’Ecrivains bizarres, de les accuser d’être vindicatifs, intolérans, orgueilleux, égoïstes, pleins de morgue. […] d’Alembert, Traducteur de plusieurs morceaux de Tacite, n’entend pas le Latin, & que ses Mélanges de Littérature, si estimés de tous ses amis, sont écrits avec sécheresse & avec froideur ; que de tous les Ouvrages de M.
Beyle, en cela, se livrait à sa verve, à sa nature d’esprit, et aussi il avait intérêt à ce que la conversation fut des plus vives : il s’était chargé d’envoyer à je ne sais quelle Revue anglaise des nouvelles de notre littérature, et il venait s’approvisionner le dimanche dans le salon de M. […] Delécluze, qui a toujours eu le goût des procès-verbaux et des copies exactes, soit en dessin, soit en littérature, n’était pas fâché que Beyle se lançât et, selon lui, extravaguât beaucoup, afin d’avoir le plaisir d’écrire : le soir, à tête reposée, les conversations dont il nous donne les échantillons aujourd’hui dans ses Souvenirs, et qu’il nous représente comme des fantaisies folles : car sa marotte à lui, c’est la sagesse ? […] Beyle eut un mérite rare, incontestable : du sein de la littérature de l’Empire, qui retardait sur les grandes actions et des prodigieux événements contemporains, il sentit qu’une autre littérature devait naître. Cette littérature, grande à son tour et neuve, ne pouvait coïncider avec les choses extraordinaires accomplies dans l’ordre de l’action ; car « un peuple, prétendait-il, n’est jamais grand que dans un genre à la fois. » Les victoires de l’esprit ne devaient donc venir qu’après celles de l’épée. […] Delécluze, se rangeant du côté des littératures du Midi et se préoccupant à l’excès d’un grand danger qu’il supposait imminent du côté du Nord, écrivait : « Rien ne serait plus fatal à la langue française que si nos écrivains, entraînés à l’imitation des idiomes du Nord, transportaient la phraséologie de ces derniers dans le nôtre.
Je ne sais si beaucoup de gens sont comme moi, mais j’avoue que par moments je commence a en avoir assez de la littérature du XVIIe siècle. […] Édouard de Barthélémy est évidemment un jeune homme qui a allumé son flambeau à la torche de l’ardent et amoureux investigateur, et qui s’est enflammé, un matin, d’un zèle extraordinaire pour la littérature Longueville, Sablé, etc. […] Géruzez), l’a cité deux fois à ce sujet dans son Histoire de la Littérature française. […] Je puis paraître porter bien loin la susceptibilité littéraire, mais j’aimerais mieux, si j’étais jeune, et par respect même pour la littérature, un tout autre emploi que celui-là de mon temps et d’un si bel âge ; la jeunesse offre tant d’autres distractions ! […] Pour l’un, c’est la littérature morale et haute, sévère et abstraite, ce qu’il appelle l’esprit pur, qui lui fait illusion ; pour l’autre, c’est la littérature négligente, aimable et facile, la seule joyeuse et vraiment heureuse ; pour un autre, c’est la marotte d’une noble cause dont il se figure être la personnification vivante et le représentant tout chevaleresque.
MM. de Goncourt qui, à huit ans de distance l’un de l’autre, sont jumeaux ; qui pensent et sentent à l’unisson ; qui non-seulement écrivent, mais causent comme un seul homme, l’un seulement avec plus de réflexion et de suite, l’autre avec plus de pétillement et de saillies, sont entrés dans la littérature par la peinture, par les arts : ne l’oublions pas, et eux-mêmes, dans ce qu’ils écrivent, ne permettent jamais de l’oublier. De plus, ils sont entrés dans la littérature et dans l’art par le xviiie siècle d’abord, par le xviiie siècle exclusivement : ç’a été là leur première et unique Antiquité, et de cette étude ils ont passé immédiatement à celle des mœurs et des personnages du jour, sur les traces et à l’exemple de Gavarni. […] L’indépendance des idées est nécessaire à l’indépendance de l’admiration. » Ils veulent du présent, du vif, du saignant dans les œuvres : « En littérature, on ne fait bien que ce qu’on a vu ou souffert. » L’Antiquité leur paraît encore à juger ; ils ne paraissent accepter rien de ce qu’on en dit ; ils croient que tout est à revoir, et que le procès à instruire n’est pas même commencé ; ce respect du passé en littérature, ce culte des anciens à tous les degrés, qu’il s’agisse des temps d’Homère ou du siècle de Louis XIV, est, selon eux, la dernière des religions qu’on se prendra à examiner et à percer à jour : « Quand le passé religieux et politique sera entièrement détruit, peut-être commencera-t-on à juger le passé littéraire. » Ils ne font grâce entre les anciens qu’à Lucien, peut-être à Apulée, à cause de l’étonnante modernité qu’ils y retrouvent : ce sont pour eux des contemporains de Henri Heine ou de l’abbé Galiani. […] Et cependant, c’est grâce à cette méthode, à ce genre de procédé, il faut bien le reconnaître, que j’obtiens en littérature des tableaux et des paysages comme on n’en avait pas auparavant : ainsi, sans sortir de ce volume, cette exacte, rebutante et saisissante description des Petits-Ménages, rue de Sèvres ; — ainsi la vue, l’impression, l’odeur même d’une salle d’hôpital, dans Sœur Philomène ; — ainsi, dans Renée Maupérin, le frais rivage de la Seine à l’île Saint-Ouen, et, dans Germinie Lacerteux, le coucher du soleil à la chaussée de Clignancourt : ce sont des Études sur place, d’après nature, d’un rendu qui défie la réalité. […] Je les définirais encore deux hérétiques en littérature, des plus consciencieux et des plus aimables.
Il y a dans la littérature le domaine de l’imagination, les talents poétiques proprement dits, qui ont en eux un don de création et de génie ; ceux-là ne se suscitent point à volonté : Dieu et la nature y pourvoient ; il faut les laisser naître. […] Mais il y a encore en littérature la part critique, celle de l’étude et du savoir mis en œuvre avec plus ou moins d’utilité et d’agrément. […] Simple ouvrier dans une œuvre si générale, je continuerai donc, comme par le passé, cette espèce de cours public de littérature que j’ai entrepris depuis plus de trois ans. […] Au milieu des jugements divers et contradictoires, plus souvent rigoureux qu’indulgents, qu’a provoqués la littérature de l’ancien Empire, la critique d’alors a toujours été exceptée, et elle a laissé une tradition de haute estime. […] Je choisirai d’habitude et de préférence quelques sujets dans la littérature française des deux derniers siècles (sans toutefois m’y enfermer, et sans exclure absolument les contemporains), et je parlerai aujourd’hui de l’auteur du Voyage d’Anacharsis, de l’abbé Barthélemy.