Il était à craindre que le public ou les critiques d’une génération renouvelée ne se montrassent volontiers ingrats, légers (c’est si facile), en raison même de l’écho fameux, contre l’œuvre déjà ancienne d’un auteur très-vivant, et arrivé par les voies les plus honorables aux dignités littéraires et sociales. […] Il s’était amaigri et comme desséché en passant durant des années par tant d’usages peu littéraires ; il s’était altéré au souffle des révolutions, et, comme on ne s’en rendait pas compte, comme on se croyait toujours classique, on ne le retrempait pas. […] En même temps, le changement de régime avait pour effet de rendre sans réserve le poëte à la vie littéraire ; il n’y appartenait plus tout entier depuis quelques années. […] Représentons-nous bien l’état littéraire de la France aux abords de l’année 1820. […] D’attente en attente, l’auteur garda sa pièce, qui ne fut pas imprimée, de sorte que le Cid d’Andalousie, dans la chronique littéraire et dramatique de notre temps, n’est plus qu’une vague rumeur et un nom96.
Sauf le fragment de la Haye, dont la valeur littéraire est nulle, rien ne nous représente la période primitive d’invention spontanée, et nous n’atteignons pas directement la première et, vraiment populaire forme de notre épopée française. […] Nulle intention littéraire, nul souci de l’effet ne gâtent l’absolue simplicité du récit. […] Les cycles sont factices : la critique littéraire doit briser ces cadres, où la médiocrité pullulante cache les chefs-d’œuvre. […] Paris, 1833-36 ; 3e vol., 1846. — À consulter (sur la geste des Lorrains) : Histoire littéraire de la France, t. […] Le début du Charroi de Nîmes est peut-être très ancien dans son fond ; mais tel que nous l’avons, c’est une très belle amplification littéraire ; le procédé appliqué au développement de l’idée est sensiblement analogue à celui de la fameuse scène des portraits d’Hernani ; c’est la traduction grandiose d’une idée grande.
Dans ce va-et-vient de Français qui vont au-delà des monts, d’italiens qui viennent par deçà, il se produit une incessante infiltration des mœurs et de l’esprit d’une race plus raffinée, et même un renversement des rapports littéraires qui jusque-là avaient existé entre les deux pays. […] Est-ce invention verbale, toute-puissante illusion du talent littéraire ? […] Leur œuvre, qui tient à leur temps essentiellement, tire sa valeur littéraire de la qualité individuelle de leur nature, et de cette qualité seule : on y cherche l’expression personnelle d’une âme chez Villon, d’une intelligence chez Commynes. […] Jamais décadence littéraire n’a produit de plus misérables, de plus baroques pauvretés. […] Brunet, la France littéraire au xve siècle, Paris, 1865.
Deux cafés se partageaient alors l’honneur de réunir l’élite du monde littéraire : le café Procope, en face de la Comédie, et le café Gradot, au quai de l’École. […] Parlant, je crois, de quelque souper chez le président Hénault, qui faisait les honneurs de chez lui en mangeant beaucoup, le prince de Ligne nous dit : « Marmontel l’a secondé à merveille ; Duclos pas mal, avec sa sécheresse et son sel ordinaire ; sel de mer à la vérité, sel amer, mais qui vaut mieux que le sel attique dont on parle toujours et où je ne trouve jamais le mot pour rire. » Les portraits des gens de lettres qui terminent le fragment trop court des Mémoires de Duclos, et où l’on voit passer Fréret, Terrasson, Du Marsais, La Motte, forment un des meilleurs et des plus agréables chapitres de notre histoire littéraire. […] Au resteh, à cette date, Duclos ne songeait qu’à vivre, à se livrer à l’ardeur et à la fougue de ses sens, à cette vivacité courante de son esprit qui se dépensait chaque jour, qui faisait feu à bout portant ; et l’idée de composer des livres ne lui vint qu’ensuite et par degrés : encore ne s’y appliqua-t-il jamais dans le silence du cabinet, avec cette passion concentrée et dominante qui est le signe et la condition de toute œuvre littéraire mémorable. […] Voisenon, dans sa note sur Duclos (Anecdotes littéraires), a suffisamment démenti par son silence cette assertion qui, d’ailleurs, soutient peu l’examen.
Il avait coutume de dire que la politique intervenant tout à coup dans une conversation agréable et désintéressée, ou dans une œuvre littéraire, « lui faisait l’effet d’un coup de pistolet dans un concert ». […] Une fois sur le chapitre du pittoresque, songeant surtout aux jardins anglais, Beyle le fait venir d’Angleterre comme les bonnes diligences et les bateaux à vapeur : le pittoresque littéraire, il l’oublie, nous est surtout venu de Suisse et de Rousseau ; mais ce qui est joli et fin littérairement, c’est la remarque qui suit : « La première trace d’attention aux choses de la nature que j’aie trouvée dans les livres qu’on lit, c’est cette rangée de saules sous laquelle se réfugie le duc de Nemours, réduit au désespoir par la belle défense de la princesse de Clèves. » Même en rectifiant et en contredisant ces manières de dire trop exclusives, on arrive à des idées qu’on n’aurait pas eues autrement et en suivant le grand chemin battu des écrivains ordinaires. […] Beyle, qui vivait dans des salons charmants, littéraires et autres78, a donc parlé de ceux du faubourg Saint-Germain comme on parle d’un pays inconnu où l’on se figure des monstres ; les personnes particulières qu’il a eues en vue (dans le portrait de Mme de Bonnivet, par exemple) ne sont nullement ressemblantes ; et ce roman, énigmatique par le fond et sans vérité dans le détail, n’annonçait nulle invention et nul génie. […] Son style, en appuyant, n’éclaircit pas sa pensée ; il se faisait des idées singulières des écrivains proprement dits : Quand je me mets à écrire, disait-il, je ne songe plus à mon beau idéal littéraire ; je suis assiégé par des idées que j’ai besoin de noter.