Des faits encore, déguisés sous une conversation, jetés en parenthèse, arrivant comme par hasard au bout d’une phrase, servent à caractériser ces personnages fugitifs qui ne traversent qu’une page, à décrire un lieu, à spécifier une sensation par une comparaison, à montrer en raccourci l’aspect et les êtres d’un salon, à noter le paroxysme d’une maladie ou l’affolement d’une passion, à marquer les réalités d’une répétition, la physionomie d’un souteneur, l’aspect particulier d’un public de cirque à Paris, le débraillé d’un cabotin, la colère d’une atrice ou d’une petite fille ; et, dans cette profusion de notes, d’anecdotes, d’incidents, de gestes et de mines, il en est que l’auteur nous donne par surcroît, sans nécessité pour le roman, comme une bonne partie des premiers chapitres de la Faustin, comme ce souriant récit où Mascaro, le fantastique et vague serviteur du maréchal Handancourt, emmène Chérie dans la forêt « voir des bêtes », et sous les grands arbres précède la petite fille émerveillée, faisant chut de la main sur la basque de son habit noir. […] M. l’empereur Napoléon Ier » ; un restaurateur de la rue Montmartre promet « pour 1 fr. 50 un repas comprenant : potage, 4 plats, 3 desserts et vin » ; enfin, un chocolatier encore ingénu libelle ainsi sa réclame : « La confiserie hygiénique fabrique deux sortes de chocolat : l’un qui est sa propriété exclusive a reçu le nom de chocolat bi-nutritif, parce qu’il contient des aliments alibiles empruntés au jus de poulet, et rendus complètement insipides. » On se targuait surtout au Paris d’avoir de la fantaisie, et visiblement Henri Heine était un peu le génie du lieu.
Et puis, y a-t-il lieu encore à ces individualités nationales, exclusives, haineuses, héroïques, mais aussi injustes qu’implacables ?
Madame Émile de Girardin, en particulier, la patronne du lieu, ressemble, nous le reconnaissons, à madame de Sévigné, à ce génie de femme si franc, si cordial et si sensé, à peu près aussi exactement qu’Alexandre Dumas ressemble à Raphaël.
Saint-Marc Girardin, vers la fin de son discours, avait assez délicatement touché cette situation en disant : « Et pardonnez-moi, messieurs, si le souvenir de nos jeunes princes50me ramène naturellement vers ces écoles d’où ils sont sortis, vers ces lieux où j’ai mes plus doux devoirs, où il m’est donné de vivre avec les jeunes gens, et d’observer l’avenir de la patrie à travers le leur ; là aussi je vois la jeunesse toujours favorable aux bons sentiments et aux nobles pensées, toujours aisément émue quand on lui parle des saintes obligations de la famille ou de la gloire de la France ; bienveillante, j’ai droit de le croire, pour ceux qui l’instruisent, pour ceux même qui l’avertissent.
Une liaison inaperçue, mais invincible, associe dans notre esprit les perceptions de certains lieux, de certains bruits, de certains aspects du ciel, au sentiment qui nous remplit, transporte celui-ci dans celles-là, et, après l’avoir en quelque sorte dispersé au dehors de nous, nous le renvoie par tous nos sens.