Pareillement le lion de La Fontaine sait les affaires ; il est prévoyant, calculateur ; il administre, enrégimente, organise, et sait même se passer d’un Louvois. « Il tient conseil de guerre, envoie ses prévôts39 », assigne à chacun son poste, « connaît les divers talents et tire usage de ses moindres sujets. » La Fontaine dresse un catalogue de l’armée, comme il y en avait au ministère ; la fable imite à l’occasion le style40 de la chancellerie et le vieux langage officiel, copie les passe-ports comme tout à l’heure les circulaires, parle de défrayer « les députés eux et leur suite. » Il est vrai que le passe-port ne les protégera guère, et que les convives au lieu de manger le souper le fourniront. […] Il aperçoit « la reine couchée entre des fleurs » ; elle est « dans les Champs-Elysées, elle y goûte mille charmes, conversant avec ceux qui sont saints comme elle. » Bien mieux, il a du tact ; il fait parler « à la digne moitié » du monarque un langage noble, conjugal, délicat. […] Mais quel langage de gastronome ! […] » L’habitude est si forte, qu’une fois délivré, son langage reste dévot comme auparavant. […] Nous savons leurs conditions, leurs caractères, leur langage ; nous voyons leurs habits, leurs demeures ; nous entendons les inflexions de leurs voix ; nous suivons les mouvements de leurs âmes ; nous les connaissons, nous nous intéressons à eux ; j’étais tout à l’heure involontairement plein d’irritation, de mépris, de pitié, de gaieté ; j’aimais ou je haïssais ; La Fontaine nous menait à Versailles ; nous apercevions par une échappée Louis XIV en manteau royal, les seigneurs pliés en deux dans les antichambres, les courtisans accrochant une pension ou une survivance, les bourgeois à leur comptoir et dans leur hôtel-de-ville, le curé expédiant sa messe, le paysan au travail, las et roidi dans sa souquenille trouée.
Réveillés ensuite, « les sujets reprennent leur pensée habituelle. » Aux troubles de la sensibilité se rattachent, d’importantes perturbations dans ce qu’on appelle le « langage intérieur », c’est-à-dire dans cette conception mentale de mots sans laquelle nous ne pourrions vraiment penser. Les actions et idées un peu complexes ne peuvent se conserver dans la mémoire et se rappeler à la conscience que par le moyen d’autres images plus maniables et plus subtiles qui en sont les substituts, les signes : ce sont les mots du langage, sortes de gestes intérieurs et cérébraux substitués à des actions plus complexes. […] Or, on sait que les images qui constituent le langage intérieur ne sont pas les mêmes chez tous les individus. […] Ballet sur le Langage intérieur. […] Pierre Janet suppose qu’elle est due à une « modification périodique (spontanée ou provoquée) dans l’état de la sensibilité et, par conséquent, dans la nature des images qui servent à former les phénomènes psychologiques complexes, en particulier le langage ».
Le soin visible qu’a mis le poëte à imiter le langage laconique que l’histoire attribue à son héros ne l’a que très-rarement conduit à l’affectation, si ce n’est dans le discours de Brutus au peuple, modèle de l’éloquence scolastique du temps de l’auteur. Le langage de Cassius, plus figuré parce qu’il est plus passionné, et d’une élévation moins simple que celui de Brutus, est cependant également exempt de trivialité. […] Passez maintenant du fond à la forme et du sentiment même au langage que lui prête le poëte ; quel contraste ! […] Son langage est, comme sa conduite, le résultat d’un mélange de bon sens et d’ardeur d’imagination qui enveloppe souvent la raison dans un fracas de paroles très naturel aux hommes de la profession et du caractère de Faulconbridge ; sans cesse livrés à l’ébranlement des scènes et des actions les plus violentes, ils ne peuvent trouver dans le langage ordinaire de quoi rendre les impressions dont se compose l’habitude de leur vie. […] Henri VIII peut avoir pour nous un intérêt littéraire, celui du style que le poëte a certainement eu soin de rendre conforme au langage de la cour, tel qu’il était de son temps ou un petit nombre d’années auparavant.
La seconde lettre que je veux citer est courte, mais fort bizarre ; elle prouve, ce qu’on savait déjà beaucoup trop, combien ce raffinement de langage et ce précieux tant cherché se combinaient très-bien quelquefois avec un reste de grossièreté dans le procédé et dans les manières. […] monsieur, m’écriai-je, il s’en faut bien garder ; ces termes sont si scandaleux, qu’ils feroient condamner la chose du monde la plus honnête et la plus sainte. — Aussi n’usé-je de ces mots, me dit-il, que pour m’accommoder au langage de certaines gens qui donnent souvent le nom de vice à la vertu, et celui de vertu au vice. […] Ses écrits, surtout ses Lettres et ses Conversations avec le maréchal de Clérembaut, fourniraient matière à une infinité de remarques pour les définitions précises et pour les fines nuances des mots en usage dans le langage poli. […] Les personnes qui en usent trop souvent, et d’ordinaire pour ne rien dire, leur ont donné cette aversion ; mais encore qu’il se faille soumettre au jugement et même à l’aversion de ces dames, je crois pourtant que l’on ne feroit pas mal de s’en rapporter quelquefois à tant d’excellents hommes qui jugent sainement et sans caprice, et qui sont assemblés depuis si longtemps pour décider du langage. » Il aurait eu voix au chapitre en bien des cas, s’il avait siégé parmi ces excellents hommes. […] « Outre que cette méthode est lassante, et que jamais ce n’a été le langage d’aucune cour du monde, il me semble que tout ce qu’on dit de beau, de grand et de nécessaire, saute aux yeux quand on le dit bien. » (Seconde Conversation du chevalier de Méré avec le maréchal de Clérembaut.)
Ils parlent le langage wagnérien comme les lauréats du concours général parlent le langage latin, qui ont abouté, en leurs discours, les phrases copiées de leurs cahiers d’expressions. Mais, qu’ils parviennent à avoir, parfaitement, ce langage musical ; qu’ils fassent une musique wagnérienne, comme le sait M. de Goldschmidt : ils seront loin, encore, d’être des wagnéristes. […] Mais sous le chant du poète, l’orchestre dira le fond, intraduisible en paroles, des émotions, au moyen des motifs définis, constituant un langage spécial, et cet orchestre ne devra pas être entendu, pour ainsi dire, mais disposer seulement le spectateur à vivre le drame. […] On ajoutera l’utilisation de « thèmes caractéristiques », la puissance de l’instrumentation, les développements symphoniques… Ils parlent le langage wagnérien comme d’autres le latin.