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468. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Préface »

Je ne dois pas exposer une mémoire qui m’est sainte aux jugements rogues qui font partie du droit qu’on acquiert sur un livre en l’achetant. […] Le temps de la monarchie de juillet fut vraiment un temps de liberté ; mais la direction officielle des choses de l’esprit fut souvent superficielle, à peine supérieure aux jugements d’une mesquine bourgeoisie.

469. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Renou » pp. 301-307

Ceux qui ignorent les sensations que l’harmonie porte à l’âme diront que j’ai plus d’oreille que de jugement ; ils seront plaisans, mais j’ouvrirai l’énéide, et pour réponse à leur mot je lirai : o ter quaterque beati, … etc. je porterai à leur organe le son de l’harmonie. […] Tout ce que je sais, c’est que j’ai bien fait de me méfier de mon jugement ; c’est que Virgile a tout gâté lorsqu’il a traduit cet endroit par ces vers où il ne reste presque pas le moindre vestige de la poésie et des images d’Homère : parva metu primo, … etc. j’aime mieux le plat latin du juif helléniste, qui a dit de l’ange exterminateur des premiers-nés de l’égypte : stans replevit omnia… etc. ah !

470. (1757) Réflexions sur le goût

Ce n’est pas seulement à quelque défaut de sensibilité dans l’âme ou dans l’organe, qu’on doit attribuer les faux jugements en matière de goût. […] Le vrai philosophe se conduit à peu près de la même manière pour juger que pour composer : il s’abandonne d’abord au plaisir vif et rapide de l’impression ; mais persuadé que les vraies beautés gagnent toujours à l’examen, il revient bientôt sur ses pas, il remonte aux causes de son plaisir, il les démêle, il distingue ce qui lui a fait illusion d’avec ce qui l’a profondément frappé, et se met en état par cette analyse de porter un jugement sain de tout l’ouvrage.

471. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Eugène Pelletan » pp. 203-217

Il en a fait un homme politique, un de ces cuisiniers de révolutions et de gouvernements impossibles, qui empoisonnent la France depuis près d’un siècle… Le journalisme, qui, si l’on n’y prend garde, donne de si mauvaises habitudes à la pensée, a donné à Pelletan tous les défauts qui sautent aux yeux dans son nouveau livre : l’inconsistance, la frivolité, les passions de parti et leurs faux jugements et leurs injustices, et surtout cette terrible et misérable faculté de se monter la tête, de suer à froid, comme disait Beaumarchais, en parlant des avocats, ces journalistes du bec comme les journalistes sont les avocats de la plume, et de se faire illusion à soi-même pour mieux faire illusion aux autres. […] Ces quatre biographies, qui ne peuvent pas être justes, avec les opinions de l’auteur, ne manquent ni d’intérêt ni même de piquant, non dans le fond des choses et des jugements, qui sont, excepté sur l’un d’eux (Béranger), de la plus profonde pauvreté, mais dans la manière dont elles sont touchées.

472. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XLVII » pp. 186-187

En France on a senti cela d’instinct ; tout ce qu’il y a eu de généreux, de sain et d’intègre s’est du premier jour révolté contre eux ; et comme Ordre, je ne sais qu’un éloge qu’on pourrait leur donner avec vérité : il faut les louer de toutes les vertus qu’ils ont suscitées et fomentées contre eux par leur présence. » Il nous semble qu’un tel jugement est acquis à l’histoire et subsistera, nonobstant tout ce que pourra réclamer d’adoucissements particuliers et d’égards l’apologie sincère écrite par un individu vertueux.

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