Dimanche 29 avril Cette noire envie produite par la détention de l’argent, chez quelques-uns, nous faisait rabâcher, Daudet et moi, que ce n’était pas l’argent, qui apportait à la vie les jouissances intérieures intraduisibles, que ces jouissances étaient produites par une bouteille de vin médiocre, le jour où on avait soif, par l’abandon entre vos bras d’une femme, qu’on n’achetait pas, et, mon Dieu, quelquefois simplement par une matinée de beau temps dans la campagne, par du soleil, par de l’air grisant, dans l’alacrité du physique et du moral, en bonne santé et en joie. […] Dimanche 2 décembre Ce soir, Loti tombe chez Daudet, il parle de son voyage de quarante-huit jours dans le désert, disant sa joie des levers et des couchers de soleil, dans la pure lumière, sans aucune atténuation par les vapeurs, et cela, dans le plein d’une santé, — c’est son expression, — qu’il doit à « un tempérament de bédouin ».
Leurs joies, lourdes et brutales, sont faites de vigueur surabondante. […] On ne nous avait pas fait asseoir au bureau du président ; on n’avait pas dressé sous nos yeux son bilan modeste ; on n’avait pas tenu état des naissances, des mariages et des morts, des joies et des deuils de sa maison. […] Lisez ce journal de route, De Toulouse à Girone, si alerte et si vif d’allures, avec des échappées de « joie païenne », des croquis enlevés, des vues d’histoire à la portière d’un express, et aussi, çà et là, de graves et lentes évocations, des retours de rêve, des tristesses éloquentes, et la pensée de la mort pour finir. […] La joie de vivre.
Vous savez avec quelle joie je m’y suis soumise, et dans quelle espérance ; vous m’avez peut-être vue même les envisager avec quelque fierté, en prenant une résolution dont ces inconvénients faisaient le seul mérite.
Si je la puis voir en d’aussi bonnes mains, j’aurai une grande joie, je vous l’avoue ; il me semble que je serai comme ces personnes qui voient leur amie pourvue et qui n’ont plus qu’à se tenir en repos pour elles.
Je n’en sais trop rien ; mais cela est ainsi. » Et il justifie ce jugement tout aussitôt, soit qu’il s’écrie dans une joie grondante : « Je ne puis vous dire combien je me trouve heureux depuis que j’ai secoué le monde ; je suis devenu avare ; mon trésor est ma solitude ; je couche dessus avec un bâton ferré dont je donnerais un grand coup à quiconque voudrait m’en arracher » ; ou soit qu’il parle tendrement de ces lectures douces auprès de son feu « et des heures paisibles qui vont à petits pas, comme son pouls et ses affections innocentes et pastorales. » Quand il écrit de son cher ami de Balk en ces termes : « Je ne sais si M. le comte de Balk sera encore longtemps en France ; nous sommes tous comme des vaisseaux qui se rencontrent, se donnent quelques secours, se séparent et disparaissent », il rentre exactement dans la manière de Bernardin.