» L’atmosphère monastique de l’escalier de l’Abbaye-aux-Bois, l’écho de la vaste cour réveillé pour la première fois par le bruit des équipages qui versaient les nobles visiteurs, le demi-voix des entretiens sur les marches qui ressemblait au recueillement d’une entrée d’église, tout cela justifiait l’hallucination de ma mère et de ma jeune sœur ; nous allions voir une Maintenon plus belle et moins solennelle que la première, la Maintenon caressante d’un roi de l’intelligence. […] La mère, femme de cœur et d’esprit, jadis belle et rivale en beauté de madame Récamier, avait été aussi liée d’amitié avec M. de Chateaubriand plus jeune ; c’était une intelligence très supérieure à sa réputation, mais une intelligence passionnée qui prodiguait son esprit et son cœur sans compter comme madame Récamier. […] J’ai pu les écouter, les comprendre, les admettre jusqu’où elles étaient admissibles, mais je n’ai point laissé le doute entrer dans mon cœur. » XXX On voit par ce passage, écrit bien longtemps après son enfance, que la foi de cette jeune fille était tempérée comme son âme, et que la religion fut toute sa vie une douce habitude de ses sens plutôt qu’une passion de son intelligence.
Il ne serait pas exact de dire que les intelligences étaient immobiles en ce faisant ; mais le vice de la méthode suivie transformait leur activité en une agitation stérile. […] C’est alors que la littérature, animée de l’esprit plus vif et plus libre du dehors, réveille ceux qui se laissaient aller à une paisible somnolence et brise les moules gênants où les intelligences risquaient d’être emprisonnées. […] Désormais la pensée païenne s’offrait aux jeunes intelligences à côté de la pensée chrétienne ; l’autorité se trouvait partagée entre les auteurs profanes et les auteurs sacrés ; c’était une porte ouverte au libre examen, un commencement d’émancipation. […] On commence à comprendre qu’il ne peut exister de beau immuable, de forme éternellement la même pour les conceptions changeantes de l’intelligence humaine ; qu’en ce domaine, comme en tous les autres, l’immobilisme est la pire des utopies.
Aussi, ressemble-t-il toujours, à un homme possédé par un démon intérieur : ce démon, vraiment, il l’avait en son âme, et de lui, plus que de tout autre, on peut dire — ce que Schopenhauer disait, en général, des musiciens : celui là parle la suprême sagesse, par un langage si profond et surnaturel, que son intelligence même n’en comprend pas la portée ! […] C’est, en effet, pour l’histoire de l’art, un moment précieux, entre ceux qu’elle doit à Beethoven : parce que chacun des accidents techniques de l’art, au moyen desquels l’artiste traduit pour le monde extérieur le but de son intelligence en des procédés conventionnels, arrivent, ici, à la signification suprême d’un épanchement immédiat. […] On trouve dans cette étude une intelligence de la musique Wagnérienne et une hardiesse bien remarquables, si l’on songe combien étaient, en 1869, rares et insuffisants les moyens de connaître l’œuvre de Wagner, et combien périlleux le rôle de wagnériste. […] Nous engageons les lecteurs, pour l’intelligence de cette philosophie, où Wagner fait d’incessantes allusions, à consulter le petit ouvrage, — très exact et clair, — de M.
Sur les murs ensuiés, des lignes retraçant la plage familière et la mer sempiternelle fixées en leurs traits les plus décisifs, une vision de la plage et de la mer ; puis, aux soirs de feu dans la hutte, parmi la famille assemblée, une voix exprimant en paroles longues et parfois précipitées l’intelligence de la mer tant parcourue et de ces plages connues, et des mots disant les qualités par l’âme abstraites du spectacle invétéré, et des mots pour tout ce qu’elle est d’immense et de fatal, cette incessante mer sur les plages immobiles ; enfin, par les grèves, menant ses courses hallucinées, l’homme, soit que dans quelque coquillage ou quelque corne ou quelque métal grossièrement forgé il voulût exagérer son chant, soit que de sa simple voix il modulât, dans l’harmonie des bruits conjoints, les rythmes et les mélodies, il s’épandait en ululements, et dans ses cris il imitait, variait, et à l’infini transformait et subtilisait les répondantes clameurs des vents et des flots contre les roches, afin qu’en ses vaticinantes vociférations s’exhalassent les innommables et informes et multiples et exubérantes sensations de la mer sur les plages ; et c’eût été des terreurs, des pitiés, des menaces, des désespérances, des amours et des innombrables angoissements d’âme, des innombrables véhémences du cœur poigné, qu’eût alors vécu le chant de l’artiste préhistorique. […] » Donc, si Beethoven a osé employer le pur langage de la musique, Wagner, moins confiant en nos intelligences, ou plus soucieux d’être davantage compris, Wagner dira : « Aidons comprendre aux hommes ! […] Parmi les œuvres glorieuses de Wagner — je nomme ici la Tétralogie, Tristan et les Maîtres, les pièces symphoniques, enfin le Parsifal — m’apparaît une marche en avant, un progrès continu que je définirai ainsi : D’abord l’œuvre théâtrale, c’est-à-dire l’œuvre amalgamant tous les modes d’expression sous l’unité du drame théâtral ; l’œuvre théâtrale, une action morale symbolisée sous une action légendaire et s’exprimant par le complexe moyen de littératures, de musiques et de cette très grossière et primitive forme des arts plastiques, le trompe-l’œil des décors et de personnages animés (époque des écrits théoriques de 1849 et 1852) ; Puis une transition, l’œuvre théâtrale où prédomine largement un mode d’expression aux dépens des autres ; le drame moral plus net symbolisé par un drame légendaire atténué ; la musique accaparant toute importance, la littérature s’effaçant, les décorations se faisant inutiles ; le drame moral devenant drame de musique ; Enfin l’œuvre musicale, sous la glose des additions littéraires et décoratives ; l’œuvre de pure musique, où le texte littéraire et le spectacle n’ont plus d’autre valeur que d’être les commentaires à l’intelligence des musiques ; l’action purement morale, sous le symbole quelconque d’une fable (époque initiée au Beethoven af et accomplie à Art et Religion). […] Ainsi employa-t-il l’instrument qu’il s’était pendant vingt-cinq ans préparé (vingt-cinq ans de cette vie, exemple des vingt-cinq siècles de l’histoire de l’art), la musique, mais une musique riche de toutes les puissances détournées de toutes les sensations, et pour nos faiblesses d’intelligences commentée d’un somptueux appareil de légende, de poésie et de décorations architecturales et chorégraphiques, — cet instrument, l’art de la musique, étayé de divers artifices de littérature et de plastique.
Si l’on ajoute qu’à toutes ces similitudes, s’associent en Dickens, le plus singulièrement du monde, une sensibilité délicate et triste, une puissante imagination du fantastique et du grotesque, la retenue de l’Anglais moderne ; qu’il y avait en lui du moraliste, du réformateur social, du parvenu timide et un peu rancunier ; qu’une intelligence malheureusement partiale contrôlait mal ses émotions et plus mal encore ses facultés, il semblera utile de fixer encore une fois aujourd’hui — entre la popularité et l’oubli — la physionomie de cet écrivain. […] Tous les spectacles qu’il fournit à la sensualité et à l’intelligence pures, sont exclus de son intérêt. […] Dickens n’y a pas manqué et si, chez lui, la tentative et son insuccès sont plus notables que chez d’autres, c’est que le sentiment a plus nui en lui que ce n’est généralement le cas, à l’intelligence proprement dite, à la formation des idées et à leur association. […] Tout cela est aisé à distinguer ; il paraît certain que la prédominance des facultés affectives a nui chez l’écrivain anglais au plein développement de l’intelligence, et qu’elles en ont pris, du même coup, quelque futilité puérile.