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435. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre IX. Eugénie de Guérin »

Mais comme, à toute époque, le cercle formé par ces deux genres d’intelligences n’est jamais excessivement étendu, et comme, chaque jour, il tend à se rétrécir davantage dans notre société bourgeoise, occupée de grosses choses et se complaisant dans sa propre vulgarité, l’effet de la publication, risquée par la Revue des Deux-Mondes, n’alla pas plus loin. […] À cette intelligence près d’une langue qui était pour elle la langue de la foi et de la prière, cette compatriote de Clémence Isaure eut le bonheur de vivre ignorante, — littérairement du moins, — et ne se développa que par le sentiment et la contemplation dans la solitude. […] ; soit enfin à, surveiller le ménage qu’elle dirigeait avec infiniment de goût et d’intelligence. […] Gardons-nous de le croire et de mettre des bornes au ciel. » Cette bonne pensée, sous une forme grande, ne révèle pas seulement une large intelligence chrétienne, mais tout Mlle Eugénie poëte et dévote (nous n’avons pas peur de ce mot et nous ne demandons pas excuse pour ce qu’il exprime), Mlle Eugénie n’est ni une ascète de religion, ni une ascète de poésie.

436. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — La solidarité des élites »

N’entendons-nous pas là, chaleureusement exprimée, la défense de ce sentiment nouveau, qu’il n’y a dans la nature et dans l’être, ni rupture, ni opposition, ni séparation radicale, que chaque parcelle du tout poursuit silencieusement sa lente genèse infaillible, prenant sa part du devenir commun ; que l’intelligence, loin d’être une faculté d’origine spéciale, hors de l’animalité, prend sa source, plonge ses racines dans le monde de l’instinct, dans les entrailles du sol ? […] « Nous sommes les intellectuels-rois, dites-vous… Le monde de l’instinct, le monde de l’amour, le monde de la terre et de la rue n’oseraient attenter à l’orgueilleuse royauté de notre intelligence. […] Mais ces flots de vie que vous méprisez comme une souillure, déferlent sans relâche sur vous, ils vous inondent, vous ne respirez et vous ne pensez que par eux, votre intelligence y est liée comme la plante au sol ! […] Mais à côté de cet attachement, nous admettons mille patries, partout où nous nous augmentons, partout où nous sommes heureux, partout où règnent la justice et la beauté, mille patries parce que nous avons mille vies, incessamment diverses, sans cesse renouvelées, parce que nous nous adaptons à tous les milieux ; partout où nous trouvons de la bonté, de l’intelligence, de la simplicité, nous sommes chez nous ; partout où des cœurs fraternels s’approchent du nôtre, partout où nous sommes entourés de compagnons et d’amis, nous disons : « Je suis au milieu des miens. » Si ma patrie m’est inclémente et qu’une autre patrie m’attire, que m’importent les longs siècles d’histoire ?

437. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La Divine Comédie de Dante. traduite par M. Mesnard, premier vice-président du Sénat et président à la Cour de cassation. » pp. 198-214

Dante y tient une grande place ; Ginguené l’analyse, l’explique, le loue ou le critique en toute connaissance de cause ; et, sans rompre ouvertement en visière avec la façon légère et irrévérente du xviiie  siècle, il tend à la détruire par l’exposé même des faits, et à nous transporter peu à peu et comme par une montée unie dans l’intelligence de ce difficile poète. […] Ampère, au milieu des diversités si riches de sa curieuse intelligence, revenait souvent à Dante avec une prédilection, ingénieuse toujours, et toujours munie de lumières nouvelles. […] Parmi les traductions de La Divine Comédie les plus estimées et faites en toute intelligence du texte, on cite celle de M. 

438. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Eugénie de Guérin, Reliquiae, publié par Jules Barbey d’Aurevilly et G.-S. Trébutien, Caen, imprimerie de Hardel, 1855, 1 vol. in-18, imprimé à petit nombre ; ne se vend pas. » pp. 331-247

Ici était ton portefeuille, si plein de secrets de cœur et d’intelligence, si plein de toi et de choses qui ont décidé de ta vie : je le crois, je crois que les événements ont influé sur ton existence. […] L’oiseau qui cherche sa branche, l’abeille qui cherche sa fleur, le fleuve qui cherche sa mer, volent, courent jusqu’au repos : ainsi mon âme, ainsi mon intelligence, ô mon Dieu ! […] Barbey d’Aurevilly, qui a fait dès longtemps ses preuves dans le roman et dans la presse quotidienne, homme d’un talent brillant et fier, d’une intelligence haute et qui va au grand, a une plume de laquelle on peut dire sans flatterie qu’elle ressemble souvent à une épée.

439. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre II »

Il s’agite sur son fauteuil, il ôte son chapeau de paille, il promène et repromène ses doigts égratigneurs sur son front, comme s’il voulait fouiller son cerveau : il froisse la page, il l’approche de ses yeux. » Troubles psychiques : Affaiblissement de l’intelligence et de la volonté, manque d’attention, troubles de la mémoire : 8 avril : « Un jour, quel jour ? […] Dans cette figure animée, où il y avait l’intelligence, l’ironie, cette fine et joliment méchante mine de l’esprit, je vois se glisser, minute par minute, le masque hagard de l’imbécillité. […] Il possède encore deux facultés remarquables : la qualification pittoresque avec laquelle il caractérise en passant, l’épithète rare avec laquelle il peint un ciel… » Modification du caractère. — « Avril : Absorption complète, refus de parler, toute l’après-midi, son chapeau de paille lui barrant la vue, il reste assis en face d’un arbre, dans une immobilité tristement farouche. » 8 avril : « Peu à peu il se dépouille de l’affectuosité, il se déshumanise ; les autres commencent à ne plus compter pour lui et recommence en lui le féroce égoïsme de l’enfant. » 16 avril : « Ce qu’il y a d’affreux dans ces abominables maladies de l’intelligence, c’est qu’elles détruisent souterrainement et à la longue, chez l’être aimant qu’elles frappent, la sensibilité, la tendresse, l’attachement, c’est qu’elles suppriment le cœur… cette douce amitié qui était le gros lot de notre vie, de notre bonheur, je ne la trouve plus, je ne la rencontre plus… Non je ne me sens plus aimé par lui, et c’est le plus grand supplice que je puisse éprouver, et que tout ce que je puisse me dire n’adoucit en rien… !

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