Avant d’entrer plus décidément en matière, je tiens à constater une impression première sentie par beaucoup de personnes, et qu’elles se rappelleront inévitablement, sitôt qu’elles seront entrées dans le sanctuaire attribué aux œuvres de M. […] Cette impression, difficile à caractériser, qui tient, dans des proportions inconnues, du malaise, de l’ennui et de la peur, fait penser vaguement, involontairement, aux défaillances causées par l’air raréfié, par l’atmosphère d’un laboratoire de chimie, ou par la conscience d’un milieu fantasmatique, je dirai plutôt d’un milieu qui imite le fantasmatique ; d’une population automatique et qui troublerait nos sens par sa trop visible et palpable extranéité. […] D’abord il faut remarquer, et c’est très-important, que, vu à une distance trop grande pour analyser ou même comprendre le sujet, un tableau de Delacroix a déjà produit sur l’âme une impression riche, heureuse ou mélancolique. […] Puis ces admirables accords de sa couleur font souvent rêver d’harmonie et de mélodie, et l’impression qu’on emporte de ses tableaux est souvent quasi musicale.
Le jeune Ramond participa intellectuellement de cette double origine ; il montra de bonne heure la vivacité, la promptitude brillante d’impressions qui caractérise les races du Midi, et il y mêla de la sensibilité et quelque chose de l’enthousiasme du Nord. […] Cependant, poussé avant tout par l’instinct de voyageur, et de voyageur de montagnes, il commença de bonne heure à parcourir l’Alsace et les Vosges, associant partout les souvenirs de l’histoire aux impressions de la nature. […] À leur sommet on respire si librement, la circulation est si facile, tous les organes transmettent si vivement à l’âme les impressions des sens, que tout est plaisir, que le travail le plus opiniâtre devient facile, et qu’on supporte les incommodités du corps avec courage et même avec gaieté.
Mais tout cela était bien loin en 1811 ; de Maistre était redevenu irréconciliable, et, à le prendre pour tel, rien ne saurait être plus intéressant que de saisir ses vues, ses impressions de chaque jour dans la terrible partie qui se joue sous ses yeux et où lui-même est en cause. « Depuis vingt ans, dit-il, j’ai assisté aux funérailles de plusieurs souverainetés ; rien ne m’a frappé comme ce que je vois dans ce moment, car je n’ai jamais vu trembler rien de si grand. » On tremblait, en effet, à l’heure où il écrivait cela, on faisait ses paquets là où était de Maistre, et la joie bientôt, et l’ivresse fut en raison de cette première crainte. En rabattant tout ce qu'on voudra des impressions de De Maistre, qui varient d’ailleurs au jour le jour au gré des nouvelles et des bruits divers, mais qui n’excèdent pas (car rien ne saurait les excéder) de pareilles réalités, il reste très curieux d’observer avec lui cette grande et unique année par le revers russe, de passer par toutes les vicissitudes d’émotions qui, là-bas, répondaient aux nôtres en sens inverse, et de connaître autrement que par nos bulletins ces physionomies singulières et expressives des Koutousov, des Tchitchagov, du Modenais Paulucci et de tant d’autres ; de comprendre enfin le génie russe dans son originalité, dans sa religion nationale et sa foi inviolable. […] L’impression que cet homme fait sur les esprits est inconcevable. — I… (un Piémontais prisonnier), qui était présent à la revue qui se fit avant de sortir de Moscow, m’a fait peur à moi-même en me disant : « Lorsque je le voyais passer devant le front, mon cœur battait comme lorsqu’on a couru de toutes ses forces, et mon front se couvrait de sueur, quoiqu’il fît très froid. » Ici nous touchons au grand problème que de Maistre se pose sans cesse, mais qu’il ne résout pas, ou du moins qu’il ne résout jamais que dans un sens exclusif, celui du passé.
En commençant par l’Albanie et l’Épire, en visitant la Morée, puis l’Attique encore turque, il prend les Grecs pour ce qu’ils valent, sans les surfaire, et se borne à jouir de ses impressions âpres et neuves, à les exprimer toutes vives et sur le temps : « J’aime les Grecs, disait-il, ce sont de spécieux et séduisants vauriens, avec tous les vices des Turcs sans leur courage. […] Quelle intensité d’impression et de sentiment d’un bout à l’autre ! […] J’avais deux coups, l’étranger un seul ; sa figure me paraissait effrayante, mais la mienne pouvait lui produire la même impression.
» Ces dernières paroles produisirent, on peut le croire, une impression profonde sur l’assistance : rien ne manquait au dramatique ; Cousin était alors souffrant, pâle, affecté ou se croyant affecté de la poitrine, comme il convenait à un disciple du Phédon qui aspire à jouir le plus tôt possible de l’immortalité. […] Loyson, comme la plupart de ses camarades de l’École normale, était sous l’impression des guerres épuisantes et des dernières coupes réglées et déréglées de l’Empire. […] Il était chargé par M. de Serre de revoir pour l’impression ses discours, et M.