Les vers de ce récit sont remarquablement beaux ; mais l’auteur a trouvé le rare secret de les réunir, de les marier, de les identifier su chant d’une manière si adéquate, que d’une part il leur est impossible de passer inobservés, tant leur déclamation haute et intelligible est imposée par les intonations musicales, et que d’autre, on ne saurait se méprendre et considérer la musique comme un accessoire destiné à les faire ressortir. […] Dans cette multiplicité d’aveux échappés aux plus cruels tournions, le chant, le récitatif, la parole, l’interjection, le cri, le rire sardonique se succèdent et s’entremêlent avec une telle vérité pathologique, une telle science toxicologique, une telle variété de mouvements passionnés, désolés et révoltés, selon que les espérances accordées et frustrées, la pitié due à un cuisant remords obstinément déniée, le pardon d’une faute amèrement déplorée à jamais rendu impossible, les instantes supplications repoussées, les repentirs ardents dédaignés, enfin le terrifiement dernier du désastre irrémédiable viennent se retracer dans une énumération haletante, que es moment forme à lui seul un drame dans le grand drame, et par ses sombres couleurs et son épouvantable angoisse, se détache de ce qui l’a précédé ainsi que de ce qui va suivre, comme une évocation qui aurait brisé les scellés de l’abîme des maux, pour surgir devant nos regards pétrifiés, pour leur dévoiler subitement tout l’infini de la douleur, et chacun de ses râles impuissants. […] 19 Et comme le sens du réel et du possible va toujours s’affinant, l’art doit bientôt renoncer encore la création de faits simplement rares : après les actions miraculeuses, les aventures deviennent impossibles à une recréation artistique. […] Il vit l’univers comme un ensemble de sensations : mais il reconnut impossible une recréation artistique de sensations non ordinairement perçues dans la vie réelle.
pour avoir flétri une telle action en la proclamant, au nom de Shakespeare, impossible ! […] XVI Si, pour notre part, il nous est impossible d’admettre que le drame de Henri V, dont François-Victor Hugo tire par les cheveux — et des cheveux aussi courts que ceux d’une tête ronde — une théorie politique contre le droit divin ; s’il nous est impossible d’admettre que ce drame ait été pour Shakespeare ce qu’il est pour son traducteur, nous n’en voyons pas moins comme lui les beautés supérieures de cette œuvre, splendide et charmante… Charmante, en effet, car ce n’est point l’élément du terrible et du pathétique, si familiers l’un et l’autre au génie de Shakespeare, qui brille ici de sa flamme sombre et convulsive, mais l’élément du gracieux, de l’aimable et du bon, qui étaient autant dans Shakespeare que celui du terrible et du beau. […] ce qui fait l’originalité de la physionomie de Henri V, c’est que, tout sublime qu’il soit devenu sous l’influence de la fonction de Roi, il n’en est pas moins resté, au fond, l’être gracieux qu’il était dans sa coupable jeunesse, le séduisant d’esprit et de cœur que, malgré tous les emportements et les déportements de la vie, il était impossible de ne pas aimer.
Le roman d’aventures est dans les conceptions de l’esprit humain comme le roman complet, le roman d’observation supérieure ; car il y a dans l’esprit humain des choses petites à côté des choses grandes, et même il y en a beaucoup plus… Si je ne reconnaissais à Paul Féval une valeur native, si je ne retrouvais pas dans ses livres les rayons brisés d’un talent de romancier très au-dessus de son emploi, je croirais qu’il a cédé à son instinct en écrivant le roman d’aventures et qu’il est exactement de niveau avec son inspiration ; mais il est impossible de conclure ainsi quand on a lu Paul Féval. […] Un siècle sédentaire comme le xviiie siècle, qui vivait dans des salons ou dans des cafés, dut naturellement raffoler de Gil Blas, de ce gentilhomme de grande route, l’idéal impossible d’un bonhomme parfaitement cul-de-jatte en fait d’aventures, qui passa sa vie en habit gorge de pigeon à jouer au domino au café Procope, entre sa tabatière et sa bavaroise, dans la plus grasse et la plus bourgeoise des tranquillités ! […] Commencée en 709, — entre Clovis et Charlemagne, par la révélation de saint Aubert, évêque d’Avranches, auquel l’archange Michel ordonna de bâtir sur le roc escarpé, au péril de la mer, qui allait devenir tous les genres de périls, un monastère impossible, et qui, pour preuve de la réalité de son apparition, laissa l’empreinte de son doigt dans la tête du saint à une telle profondeur qu’on retrouve le trou dans l’ossature du crâne qui nous reste, — traversant tout le Moyen Âge, et ne finissant qu’en 1594, après les terribles guerres protestantes, cette histoire du Mont Saint-Michel, qui recommencera peut-être dans l’avenir, a laissé là, écrite entre le ciel et l’eau, comme une immense lettre cunéiforme de granit devant laquelle nos pattes de mouche humiliées paraîtraient bien petites, si un esprit venant de Dieu ne les animait et ne les grandissait, en les animant… Or, c’est cet esprit-là, allumé dans le romancier devenu chrétien, qui lui a fait écrire une histoire qui, sans cet esprit, n’aurait que l’intérêt d’un roman, quoique ce soit certainement le plus magnifique de ses romans. […] Inutile et impossible entreprise, du reste, indigne, selon moi, d’un artiste de race, — car les grands artistes, les inspirés, ne reviennent jamais sur leurs œuvres ; c’est un signe de médiocrité : ils brisent la statue ; ils ne la retouchent pas !
À défaut de ce honneur impossible, Mme Necker essayait quelquefois de lui indiquer d’autres sources de consolation et le souverain remède contre l’isolement du cœur ; elle lui avait fait promettre de lire l’ouvrage de son mari sur L’Importance des opinions religieuses, et elle avait, à l’occasion, sur ce sujet de christianisme et de monde invisible, des paroles amies et délicates, que Gibbon du moins ne repoussait pas. […] Quoique cette manière de raisonner soit très blâmable, il est impossible qu’il n’en reste pas plusieurs impressions désavantageuses : 1º Que les premiers chrétiens étaient animés d’un esprit de fanatisme et d’enthousiasme autant que d’un esprit religieux. 2º Que l’on peut à peine avoir foi aux miracles, parce que l’Église dès lors jusqu’à présent n’a jamais renoncé au pouvoir d’en faire ; que les preuves sont égales pour tous les temps ; que le moment où le don des miracles a réellement cessé n’a fait aucune impression ; qu’enfin les chrétiens, en admettant les miracles du paganisme, détruisent et la foi qu’on aurait aux leurs et le caractère surnaturel des miracles. 3º Que, dès les premiers siècles, parmi les Pères de l’Église et ceux qui nous en ont transmis l’histoire, l’enthousiasme a donné lieu à des fraudes pieuses qui déguisent absolument la vérité. 4º Que les différentes sectes qui divisent le christianisme dès son commencement altérèrent les Écritures en publiant chacune de son côté des Évangiles divers. 5º Que bien des causes temporelles favorisèrent les progrès du christianisme qui furent bien plus lents qu’on ne pense. 6º Qu’il n’y eut réellement aucune persécution générale jusqu’au temps de Dioclétien ; que celle-ci même ne fit pas deux mille martyrs, et que le petit nombre de chrétiens qui avaient été persécutés auparavant l’avaient été pour des causes particulières.
Il se joue cependant avec Catulle ; il s’applique déjà à Horace ; puis une bien autre ambition le tente, l’épopée elle-même, l’épopée moderne avec toutes ses difficultés et ses réalités positives, ennemies du merveilleux ; âgé de vingt ans, il ne voit là rien d’impossible : il compose donc son Washington ou la Liberté de l’Amérique septentrionale, et, choisissant le siège de Boston comme fait principal et comme centre de l’action, il achève un poème en douze chants dont on pourrait citer des vers honorables, et qu’il accompagne d’une préface modeste et judicieuse. […] Aujourd’hui il me sera impossible de résister à la tentation de tenir sur ma cheminée le volume des Satires d’Horace et de me rengorger, lorsque les survenants indiscrets, jetant un coup d’œil sur la première page, s’écrieront : Oh !