/ 1982
17. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’art et la sexualité »

Cette variété d’esprits précieux et rares dépend d’une esthétique tellement raffinée que tout usage de la vie leur est insupportable et vulgaire, s’ils ne l’ont auparavant épurée jusqu’au point où il leur est impossible d’en jouir matériellement et sensuellement. […] S’il parle de choses pratiques d’importance vulgaire, il saura employer de telles périphrases qu’il vous est impossible, après l’avoir quitté, de répéter un seul mot de son langage, d’une imprécision tellement esthétique, que l’homme le mieux doué ne pourrait en saisir le sens réel. […] Il est absolument impossible pour moi qu’un homme sans vie produise de la beauté ; d’un être farouchement clos ne peut sortir aucune vivace mélodie, pas plus que du sol d’une cave ne peut naître une tige colorée. […] Malgré la distance considérable qui sépare la nutrition de la copulation, il n’est pas impossible de comparer un instant ces deux fonctions de l’animal humain dans leur rapport avec la pensée. […] Panizza comme un autre argument à l’appui de sa thèse, leur caractère morbide ne prouve-t-il pas justement que l’abstinence, accompagnée, dans ce cas, de privations de toute nature, n’aboutit qu’à des troubles mentaux, qu’il est impossible d’assimiler à des manifestations intellectuelles normales ?

18. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre premier. Les signes — Chapitre III. Des idées générales et de la substitution à plusieurs degrés » pp. 55-71

. — Substitution de la formule à l’expérience impossible. — Nous pensons l’objet idéal par sa formule. — Emploi universel de la substitution en mathématiques. […] Exemples dans les séries infinies. — Le temps et l’espace. — Dans une série ou quantité infinie, nous ne pensons pas la totalité de ses termes, mais quelques-uns de ses termes et un de leurs caractères abstraits représenté en nous par un nom. — Substitution de la formule à l’expérience impossible. — Nous pensons la série ou quantité infinie par sa formule. […] Résumé. — Nos idées générales sont des noms substituts d’expériences impossibles. — Illusion psychologique qui consiste à distinguer l’idée du nom. — Effets singuliers, et cause générale de cette illusion. — Il est naturel que les signes cessent d’être remarqués et finissent par être considérés comme nuls. — Théories fausses sur l’esprit pur. — Le représentant mental que nous appelons idée pure n’est jamais qu’un nom prononcé, entendu ou imaginé. — Les noms sont une classe d’images. — Les lois des idées se ramènent aux lois des images. […] La perception de la loi équivaut donc à la perception de la série ; une ligne infinie de termes distincts a trouvé son remplaçant dans un caractère abstrait, et, au lieu d’une expérience qui par définition est impossible, nous avons isolé une propriété dont le dégagement n’a coûté que deux expériences et qui nous a fait le même profit. […] Ce que nous avons en nous-mêmes lorsque nous pensons les qualités et caractères généraux des choses, ce sont des signes, et rien que des signes, je veux dire certaines images ou résurrections de sensations visuelles ou acoustiques, tout à fait semblables aux autres images, sauf en ceci qu’elles sont correspondantes aux caractères et qualités générales des choses et qu’elles remplacent la perception absente ou impossible de ces caractères et qualités. — Ainsi lorsque, négligeant les sensations présentes, nous remarquons le peuple intérieur qui roule incessamment en nous, nous n’y trouvons que des images, les unes saillantes et sur lesquelles l’attention s’étale, les autres effacées et en apparence réduites à l’état d’ombres, parce que l’attention s’est détournée d’elles pour s’appliquer à leur emploi.

19. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre II : Partie critique du spiritualisme »

Sans rien savoir directement de l’essence de l’âme, j’en sais au moins ceci : c’est qu’elle doit être telle qu’elle ne rende pas impossible l’intuition de soi-même, qui est le fait primitif. […] Or, cette âme, cette chose en soi, doit être telle qu’elle ne rende pas impossible le moi apparent, le moi phénoménal. […] La pluralité des consciences a donc pour corollaire la discontinuité des consciences : d’où je tire cette conséquence, c’est que, dans l’hypothèse d’une unité primitive, homogène, sans division et absolument continue, la pluralité des consciences serait impossible. […] On n’aurait pas dû oublier que, Descartes admettant l’étendue des corps comme une réalité, puisqu’elle en est l’essence même, il est impossible, tant qu’on reste fidèle à cette doctrine, de ne pas attribuer à Dieu l’étendue infinie aussi bien que la pensée infinie, et de ne pas en faire par là même la substance des corps aussi bien que la substance des esprits ; c’est ce qu’a fait Spinoza. […] Hors de là il nous paraît impossible de fonder une vraie morale et une vraie politique, car si la personne n’est, comme la chose elle-même, qu’une collection d’atomes, comment lui attribuez-vous d’autres titres et d’autres droits qu’à la chose ?

20. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre IV. L’ironie comme attitude morale » pp. 135-174

Et d’autre part, la répercussion des plaisirs de luxe est indéfinie, impossible à prévoir. […] Elle permet à notre esprit d’adapter son action à la situation présente et de préparer l’action future, différente et même opposée que nous devons déjà prévoir et qu’il ne faut pas rendre impossible. […] Il saura que si, ni les hommes, ni les groupes sociaux ne sont égaux entre eux, et s’il est important d’en établir la hiérarchie, cette hiérarchie est souvent difficile ou impossible à préciser. […] Mais la réalisation parfaite du bien est incertaine et peut-être impossible. […] Le devoir est très souvent impossible à indiquer avec quelque précision.

21. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « A. Grenier » pp. 263-276

Les faits rendent impossible toute dénégation mais le ton de l’auteur, plus puissant que les faits, rend tout enthousiasme impossible pour les nations où les choses se passaient comme il prend la peine de les raconter. […] Pendant qu’il était en train de si bien faire en nous montrant l’antiquité, cette vaine parolière, descendant du sophiste au rhéteur et du rhéteur au grammairien, ces trois marches qui l’ont conduite au gouffre, je souhaitais que l’esprit qui voyait si clair en histoire tirât des faits, si curieux et si nombreux qu’il avait colligés, des conséquences plus circonstanciées et plus hardies, et qu’il osât des rapprochements entre des époques de décadence dont il est impossible de ne pas voir l’analogie… À certaines pages du livre en question, la décadence de l’antiquité, livrée à la phrase et aux mots pour les mots, rappelait à l’auteur d’autres décadences ; des rhéteurs grecs lui mettaient en mémoire d’autres rhéteurs, qui n’étaient pas grecs. […] IV Cet épilogue, auquel il est impossible de s’attendre, est, en effet, la chose la plus surprenante du volume de Grenier ; car le volume fait, il le supprime… Sensation horriblement désagréable, venant après les plus agréables sensations !

/ 1982