Le ton général, j’imagine, eût été donné par des pensées comme celle-ci : « Pourquoi faut-il que la prudence qui soupçonne ait toujours raison sur la confiance qui espère ? […] Une légère marque de bonté, une preuve de leur souvenir décide souvent de notre destinée ; le dévouement de notre vie entière est presque toujours la réponse que nous croyons devoir à la plus simple apparence de leur intérêt. » Je m’étonnerais bien s’il n’entrait pas quelque souvenir assez présent, et même d’en deçà des Pyrénées, dans le récit de cette course de campagne qu’imagine la reine, pour reposer le roi malade et le distraire des affaires et de l’étiquette : « En effet, dès notre arrivée à Aranjuez, le roi nous annonça que, se fiant à notre respect, le cérémonial serait suspendu, et que chacun aurait la liberté d’agir à peu près à sa propre fantaisie. […] L’étiquette jette un voile uniforme sur tout cela : c’est une sorte de mesure positive qui donne à des tons discordants les apparences de l’harmonie. » Il y a dans cette cour une comtesse de Lémos, femme d’esprit, qui ose être elle-même et se soucier peu de ce qu’on suppose : « L’attitude indépendante qu’elle sait y conserver, dit l’auteur, m’a fait imaginer quelquefois que, dans cette même cour où l’on ne parle guère, il ne serait pas si difficile qu’on le croit de se permettre de tout dire, pourvu que l’on consentît en revanche à permettre d’y tout penser. » On est très-prompt, en effet, à y penser beaucoup de choses.
Dans le théâtre de Voltaire, l’invention n’est le plus souvent qu’une combinaison ingénieuse ; le plan, qu’un enchaînement arbitraire d’incidents imaginés dans le cabinet. […] Il n’y a là ni ce que nous savons de ces grands hommes, ni ce que nous en imaginons. […] Mais encore faudrait-il que le reste de la pièce nous montrât Gengis-kan et Mahomet tels qu’ils sont ou tels que nous les imaginons.
Chacun des arts de l’esprit a été imaginé par degrés, et développé successivement. […] Celui qui imagina d’y joindre une action fit un second pas bien important. […] Il semble être poursuivi par une fatalité terrible : il paraît pressentir les crimes auxquels il est réservé : sa passion sombre et forcenée ne voit et n’imagine rien qui ne soit funeste : il est tourmenté par son amour comme par une implacable Euménide.
(6) Le système théologique est parvenu à la plus haute perfection dont il soit susceptible quand il a substitué l’action providentielle d’un être unique au jeu varié des nombreuses divinités indépendantes qui avaient été imaginées primitivement. […] Il est impossible d’imaginer par quel autre procédé notre entendement aurait pu passer des considérations franchement surnaturelles aux considérations purement naturelles, du régime théologique au régime positif. […] À cette fin, ils ont imaginé, dans ces derniers temps, de distinguer, par une subtilité fort singulière, deux sortes d’observations d’égale importance, l’une extérieure, l’autre intérieure, et dont la dernière est uniquement destinée à l’étude des phénomènes intellectuels.
Cette intellection tout automatique s’étend d’ailleurs beaucoup plus loin qu’on ne se l’imagine. […] Partant alors de ces représentations, nous les déroulons en mots imaginés qui viennent rejoindre et recouvrir les mots lus ou entendus. […] Au contraire, si l’on confond ici unité et simplicité, si l’on s’imagine que l’effort intellectuel peut porter sur une représentation simple et la conserver simple, par où distinguera-t-on une représentation, quand elle est laborieuse, de cette même représentation, quand elle est facile ?