Mais à ce moment aussi le nombre a cessé d’être imaginé et même d’être pensé ; nous n’avons conservé de lui que le signe, nécessaire au calcul, par lequel on est convenu de l’exprimer. […] Mais la plupart des esprits ne procèdent pas ainsi : ils alignent les sons successifs dans un espace idéal, et s’imaginent compter alors les sons dans la pure durée. […] En ce sens, la conception kantienne de l’espace diffère moins qu’on ne se l’imagine de la croyance populaire. […] Pour mettre cette argumentation sous une forme plus rigoureuse, imaginons une ligne droite, indéfinie, et sur cette ligne un point matériel A qui se déplace. […] Tous les jours j’aperçois les mêmes maisons, et comme je sais que ce sont les mêmes objets, je les désigne constamment par le même nom, et je m’imagine aussi qu’elles m’apparaissent toujours de la même manière.
Il imagina le premier de donner des Opéra François, à l’imitation de ceux d’Italie. […] Ses Odes, ses Stances, ses Eglogues, ses Elégies, & sur-tout sa Traduction de l’Enéide en Vers héroïques, sont des Productions aussi plates, aussi rampantes que ses Opéra ; tant il est vrai que le talent d’imaginer est presque toujours séparé de celui de bien exécuter.
J’avoue que le coloris en est faux ; qu’elle a trop d’éclat ; que l’enfant est de couleur de rose ; qu’il n’y a rien de si ridicule qu’un lit galant en baldaquin dans un sujet pareil ; mais la Vierge est si belle, si amoureuse et si touchante ; il est impossible d’imaginer rien de plus fin, ni de plus espiègle que ce petit saint Jean couché sur le dos, qui tient un épi. Il me prend toujours envie d’imaginer une flèche à la place de cet épi ; et puis des têtes d’anges plus animées, plus gaies, plus vivantes ; le nouveau-né le plus joli.
Mais un exemple en ces matières est toujours délicat à imaginer : on a beau faire, on sent que tout est convenu, factice, arrangé pour le besoin de la démonstration. […] Ils ne se demandent pas si Pauline est brune ou blende, si Phèdre a le nez aquilin ou retroussé ; ils n’imaginent pas le mobilier, ni ne précisent le décor. […] On la conçoit selon son expérience, ou on l’imagine d’après elle.
On regarde, on observe, on s’imagine, on croit voir des rayons de lumière sur des visages que l’on trouvait indignes, il y a un mois, d’être comparés aux autres. » Ces on là, c’est la cour. […] Une lettre de madame de Sévigné, du 6 novembre, raconte avec sa grâce ordinaire comment le roi, sous le nom d’un certain Langlée, espèce d’aventurier qui tenait un jeu à la cour, lui donna la plus belle robe dont on eut jamais eu l’idée : « M. de Langlée a donné à madame de Montespan une robe d’or sur or, rebrodé d’or, rebordé d’or, et par-dessus un or frisé, rebroché d’un or mêlé avec un certain or qui fait la plus divine étoffe qui ait jamais été imaginée : ce sont les fées qui ont fait cet ouvrage en secret. […] C’est Langlée, dit le roi ; c’est Langlée, assurément, dit madame de Montespan ; personne que lui ne peut avoir imaginé une telle magnificence : c’est Langlée, c’est Langlée !