/ 1798
182. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. Suite et fin. » pp. 73-95

Il y a loin de là à ce siège en règle, monumental, classique, à ce siège modèle qu’a imaginé l’auteur de Salammbô, afin de se donner l’occasion d’énumérer toutes les machines de guerre, tous les instruments de balistique de l’ancien corps du génie, et de nous peindre l’effroi des Carthaginois « quand ils aperçurent, venant droit vers eux, comme des monstres et comme des édifices, avec leurs mâts, leurs bras, leurs cordages, leurs articulations, leurs chapiteaux et leurs carapaces, les machines de siège qu’envoyaient les villes tyriennes : soixante carrobalistes, quatre-vingts onagres, trente scorpions, cinquante tollénones, douze béliers, etc. » Évidemment l’auteur s’amuse. […] Pour cela, il imagine de faire crever par Spendius l’aqueduc qui conduisait les eaux potables dans la ville, d’en détourner le fleuve nourricier, moyennant l’enlèvement de quelques dalles opéré avec des prodiges de dextérité et de patience ; car ce Spendius est comme le nain merveilleux du roman ; à lui seul, il fait tout. […] Imaginez une armée de 40 mille hommes, entassée dans une sorte d’hippodrome formé par la montagne, la double entrée de la gorge barrée par des rochers qu’on y a fait rouler, ou par une herse inexpugnable, et là, dans cet immense cul-de-basse-fosse, sur ce radeau de la Méduse en terre ferme, ces 40 mille hommes dévorant les animaux, les mulets, et, après neuf jours de souffrance, en venant à manger leurs propres morts.

183. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite.) »

De même, la première leçon qu’un père prévoyant devrait donner à son fils, si ce fils se destinait à devenir un critique journaliste, ce serait, selon moi : « Mon fils, n’ayez pas le goût trop dégoûté ; apprenez à manger de tout. » Or, imaginez un poète, c’est-à-dire un être accoutumé à cultiver et à chérir un idéal, à le caresser dès l’enfance sur l’aile de la fantaisie, imaginez ce poète subitement mis à pied par la fortune et obligé par métier d’essayer de toutes les combinaisons, de déguster tous les breuvages et toutes les boissons à leur entrée, ou, si vous aimez mieux, de tremper le doigt dans toutes les sauces. […] On ne saurait rien imaginer de plus pittoresque et de plus grandiose que cette porte de l’Andalousie.

184. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre premier. La contradiction de l’homme » pp. 1-27

On a imaginé qu’un être supérieur, sur notre planète, au lieu de sortir de la famille des singes, aurait pu prolonger, par exemple, la race de l’éléphant ou quelque autre espèce analogue et voisine. […] Des circonstances qu’on peut imaginer, et tout au plus entrevoir, mais sur lesquelles des données précises et suffisantes font défaut, l’ont engagé dans le tourbillon social. […] En politique, l’absolutisme, le libéralisme, le socialisme et l’anarchisme même, tels que le conçoivent au moins quelques-uns de ses partisans, sont des tentatives variées et contradictoires pour réaliser l’harmonie des intérêts et des désirs, comme aussi pour fortifier les divers sentiments, — respect, soumission, crainte, sens de l’indépendance, initiative individuelle, esprit de concurrence, désir d’égalité, — par qui chacun s’imagine que la société va se fortifier ou s’épurer.

185. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Mme de Genlis. (Collection Didier.) » pp. 19-37

Dès l’âge de sept ans, ayant avisé, d’une terrasse voisine de sa chambre, de petits paysans qui venaient couper des joncs près d’un étang, elle imagina de leur donner des leçons et de leur enseigner ce qu’elle savait, le catéchisme, quelques vers des mauvaises tragédies d’une Mlle Barbier, et de la musique. […] Imaginez qu’à cette époque, et par une sorte d’attrait qui rapprochait la fleur des pédants de la fleur des pédantes, La Harpe devint amoureux d’elle : c’est à croire à l’influence des étoiles. […] Ne pouvant se priver de son goût pour le théâtre, elle imagina de mettre en action et de leur faire jouer dans le jardin, où les décorations artificielles se combinaient avec la nature, les principales scènes de l’Histoire des voyages de l’abbé Prévost, abrégée par La Harpe, et en général toutes sortes de sujets historiques ou mythologiques.

186. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — III. Franklin à Passy. (Fin.) » pp. 167-185

Durand, le ministre plénipotentiaire français, lui témoignait de l’estime et cherchait à tirer de lui des renseignements sur les affaires d’Amérique, il se tenait sur la réserve : « Je m’imagine, disait-il (août 1767), que cette intrigante nation ne serait pas fâchée de s’immiscer dans nos affaires, et de souffler le feu entre la Grande-Bretagne et ses colonies ; mais j’espère que nous ne lui en fournirons point l’occasion. » L’occasion était toute produite et tout ouverte dix ans après, et c’était Franklin qui venait lui-même solliciter la nation et le roi d’y prendre part et d’en profiter. […] Mais, quand vous réussiriez, vous imaginez-vous qu’il en résulterait quelque bien ? […] Son retour dans sa patrie, les honneurs qu’il y reçut, les légers dégoûts (car il en est dans toute vie) qu’il y essuya sans le faire paraître, son bonheur domestique dans son jardin, à l’ombre de son mûrier, à côté de sa fille et avec ses six petits-enfants jouant à ses genoux, ses pensées de plus en plus religieuses en avançant, lui font une fin et une couronne de vieillesse des plus belles et des plus complètes que l’on puisse imaginer.

/ 1798