/ 2583
370. (1853) Portraits littéraires. Tome II (3e éd.) pp. 59-300

La déclamation et l’ironie, maniées habilement, peuvent très bien se passer d’imagination ; mais l’ode impérieuse ne se contente pas à si peu de frais. […] Les difficultés que présente la satire lyrique s’effacent devant une intelligence où se trouvent réunies l’imagination et la sagacité. […] La correction ne peut dissimuler ni l’absence de la pensée, ni la pauvreté de l’imagination ; mais elle ajoute constamment à la clarté de la pensée, à la richesse de l’imagination. […] Dumas de se faire élégiaque, ce serait lui prescrire de renoncer à lui-même ; mais il y a dans chacun des trois de quoi féconder l’imagination des deux autres. […] Dans tout ce que je raconte, l’imagination ne joue pas le plus petit rôle ; je me souviens et j’écris sous la dictée de ma mémoire.

371. (1892) Sur Goethe : études critiques de littérature allemande

Mais est-il rien de petit pour une imagination déchaînée qui se fatigue sans cesse à tout grandir ? […] L’imagination de M.  […] Là, chaque rêve, l’imagination aidant, se présente avec la consistance de la réalité. […] Avec cela on intéresse sans qu’il soit besoin ni d’une imagination inventive ni d’un rare génie d’observateur. […] C’est tout un peuple que l’imagination crée d’un seul de ses regards.

372. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre IV. Le développement général de l’esprit est nécessaire pour bien écrire, avant toute préparation particulière »

Mais il a fallu un esprit pénétré de poésie, une imagination excitable et prompte à transfigurer ses impressions, et, par-dessus tout, cette pudeur des âmes délicates qui voile l’émotion d’un sourire et élude par la fantaisie l’expression trop poignante de la réalité. […] Mais une âme fine et philosophique qui ait senti ce que la présence de l’homme met d’intérêt dans les choses inanimées, ce que l’indifférente sérénité de la nature a de navrant, quand disparaît ce bonhomme qui allait, venait, bêchait, taillait, introduisant le mouvement, la variété, la vie, peuplant ce désert à lui seul, âme de ce petit inonde ; une imagination imbue de poésie païenne, qui exprime la tristesse de cette impassibilité même, et mette en deuil pour le vieux jardinier les fleurs éternellement belles et souriantes, peuvent seules dicter cette brève parole, où l’on entend un écho d’Homère et de Virgile.

373. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier »

Cette nécessité qu’il maudit, il l’aime plus qu’il ne se l’avoue : dans son imprévu, souvent elle lui demande ce qu’il n’eût pas donné d’une autre manière ; elle supplée par accès et fait émulation en quelque sorte à son imagination même. […] Ses relations avec le moine Schneider, telles qu’il s’est plu à nous les peindre, ne sont-elles pas une réflexion fort élargie, une pure réfraction du souvenir à distance au sein d’une vaste et mobile imagination ? […] Car de talent, à proprement parler, c’est-à-dire de pouvoir créateur, de faculté expressive, de mise en œuvre heureuse, ils n’en avaient que peu ; ils n’ont laissé que des lambeaux aussi déchirés que leur vie, des canevas informes que les imaginations enthousiastes ont eu besoin de revêtir de couleurs complaisantes, de leurs propres couleurs à elles, pour les admirer. […] Et d’abord, si sincère qu’il se montrât dans le transport d’expression de ses douleurs juvéniles, il était trop poëte pour que son imagination, à certains moments, ne les lui exagérât point beaucoup, et, à d’autres moments aussi, ne les vint pas distraire et presque guérir. […] … » Idylle et catastrophe, une vive et brillante promesse interceptée, son imagination avait pris de bonne heure ce tour dans le sentiment de sa propre destinée et dans l’expérience des malheurs particuliers, réels, auxquels il est temps de venir.

374. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Bernardin de Saint-Pierre »

Né au Havre en 1737, son imagination d’enfant s’égara de bonne heure sur les flots. […] Il est certain que son caractère en souffrit et qu’une aigreur désormais incurable se glissa au revers de cette imagination tendre, à travers cette sensibilité charmante. […] Ainsi l’imagination, d’un toucher facile et puissant, transfigure et divinise tout dans la souvenir. […] Ce sont deux vrais modèles d’une causticité fine et décente, compatible avec l’imagination et avec l’idéal. […] Dans la correspondance avec Ducis, qui forme un des endroits les plus récréants de ce déclin, le bonhomme tragique nous apparaît bien supérieur à son ami, par un génie franc, cordial, une grande âme débonnaire, et une imagination quelque peu sauvage, qui prend du pittoresque et des tons plus chauds en vieillissant.

/ 2583