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1091. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Mme du Châtelet. Suite de Voltaire à Cirey. » pp. 266-285

La mission de Voltaire, à ce moment, était de naturaliser en France les idées anglaises, les principes philosophiques qu’il avait puisés dans la lecture de Locke, dans la société de Bolingbroke ; mais surtout, ayant apprécié la solidité et l’immensité de la découverte de Newton, et rougissant de voir la France encore amusée à de vains systèmes, tandis que la pleine lumière régnait ailleurs, il s’attacha à propager la vraie doctrine de la connaissance du monde, à laquelle il mêlait des idées de déisme philosophique. […] Le bruit, ce n’est pas la nuit qu’il l’incommode, à ce qu’elle m’a dit, mais le jour, au fort de son travail ; cela dérange ses idées. […] Elle a l’idée fixe qu’il soit sage là-bas, et ne se permette rien de trop dans ses éditions de Hollande, afin de pouvoir revenir ensuite et de jouir ensemble de la félicité à Cirey : « Surtout qu’il n’y mette pas Le Mondain !  […] Je suis sûre que vous serez aujourd’hui plus gai et plus spirituel que jamais à Lunéville, et cette idée m’afflige indépendamment de toute inquiétude. […] Sa première idée était de se retirer à l’abbaye de Senones, auprès de dom Calmet, pour s’enfoncer dans l’étude ; sa seconde idée fut d’aller en Angleterre auprès de lord Bolingbroke, pour se livrer à la philosophie.

1092. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Confessions de J.-J. Rousseau. (Bibliothèque Charpentier.) » pp. 78-97

Le siècle pourtant demandait plus ; il voulait être ému, échauffé, rajeuni par l’expression d’idées et de sentiments qu’il se définissait mal et qu’il cherchait encore. […] Rousseau parut : le jour où il se découvrit tout entier à lui-même, il révéla du même coup à son siècle l’écrivain le plus fait pour exprimer avec nouveauté, avec vigueur, avec une logique mêlée de flamme, les idées confuses qui s’agitaient et qui voulaient naître. […] Nous essaierons de le faire, en nous bornant le plus que nous pourrons à la considération de l’écrivain, mais sans nous interdire les remarques sur les idées et le caractère de l’homme. […] L’idée d’écrire des Confessions semble si naturelle à Rousseau, et si conforme à son humeur comme à son talent, qu’on ne croirait pas qu’il y ait eu besoin de la lui suggérer. […] Je ne prévoyais pas que j’aurais des idées ; elles viennent quand il leur plaît, non quand il me plaît. » Ainsi, dans tout ce qu’il a raconté depuis, nous n’aurions, à l’en croire, que des ressouvenirs lointains et des restes affaiblis de lui-même, tel qu’il était en ces moments.

1093. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le duc d’Antin ou le parfait courtisan. » pp. 479-498

D’Antin fût présenté au roi le lendemain 4 ; le roi fut bref avec lui ; d’Antin ne pouvait que lui rappeler une idée désagréable, c’est qu’un autre l’avait précédé. […] Nous avons besoin de nous reporter à la situation et aux idées du temps pour nous apercevoir que ce sont là des marques de rigueur ou de médiocre bienveillance. […] Une idée qui vint d’abord à d’Antin, c’est que, pour plaire au roi, il fallait être magnifique et faire de la dépense ; pour y subvenir, à défaut des secours de Mme de Montespan, il s’appliqua au jeu, et il en tira de grosses sommes. […] C’est ici que d’Antin se surpasse et que l’art du courtisan, en lui, atteint à des recherches et à des délicatesses dont on n’avait pas eu l’idée jusque-là. […] Une fois saisi de l’idée d’éternité, il ne s’en était plus séparé, et il avait été gravissant de jour en jour vers les sommets d’une pénitence austère.

1094. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — II. (Suite et fin.) » pp. 436-455

Son livre n’était pas un ouvrage régulier : il avait eu d’abord l’idée, disait-il en commençant, d’écrire une histoire générale de la nature ; mais bientôt, renonçant à un plan trop vaste, il s’était borné à en rassembler quelques portions, et, comme il les appelait, des ruines, n’y laissant debout que le frontispice. […] Si l’on veut prendre idée tout d’abord de son genre de talent, qu’on relise, dans son Étude première, la composition qu’il fait d’un paysage à l’embouchure d’un fleuve : comme il le dessine ! […] Puis rejetant ou corrigeant cette première idée : Voulez-vous, dit-il, augmenter l’impression de ce tableau sans toutefois en dénaturer le sujet ? […] Et qu’a de commun aussi Ariane, amante fugitive puis abandonnée, et qui essaie de noyer son chagrin dans le vin, avec l’idée de la vertu malheureuse ? […] Il épousa, en 1792, âgé déjà de cinquante-cinq ans, une jeune personne de vingt-deux, Mlle Félicité Didot, et, dans sa correspondance avec elle, on ne le voit occupé que de réaliser, comme toujours, son idée d’une île champêtre et d’une chaumière.

1095. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le président de Brosses. Sa vie, par M. Th. Foisset, 1842 ; ses Lettres sur l’Italie, publiées par M. Colomb, 1836. » pp. 85-104

Il conçut l’idée d’un ouvrage qui pût sourire à ce grand homme (comme on disait alors) par l’assemblage de connaissances nécessaires à l’exécution. Après avoir hésité entre Suétone et Salluste, et avoir quelque temps songé à les mener de front l’un et l’autre, il se fixa au dernier, non pas seulement pour une édition et une traduction, mais pour une restitution complète des parties détruites et manquantes ; il eut même l’idée d’abord de les rédiger en latin, et, dans tous les cas, comme si c’était Salluste qui se retrouvât tout d’un coup et qui se mît à parler en son nom. […] De Brosses, en laissant de côté les plaisanteries et les gaietés dont il assaisonne son propos, est fécond en de telles idées patriotiques, où il se montre précurseur et promoteur. […] La dispersion d’études chez le président de Brosses n’était donc pas celle d’un érudit ordinaire qui ne gouverne pas ses idées et que la poursuite même égare, mais plutôt le signe d’activité d’un amateur ardent et libre, qui travaillait selon l’occasion et la veine, pour son plaisir et non pour la gloire. […] On a cité quelques-uns des noms qui furent les derniers tenants et demeurants de la féodalité déjà détruite : lui, il est le dernier et le plus considérable des grands littérateurs provinciaux qui gardèrent jusque dans les idées nouvelles quelque chose de l’allure des siècles précédents.

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