Dans le temps donc que Saint-Gelais, créature gentille, comme l’appelle Marot, aiguisait quelques douzains à la manière italienne, ou chantait ses vers sur des airs qu’il avait composés lui-même84, de jeunes esprits se formaient dans les écoles restaurées par là Renaissance, et retrouvaient l’idéal de la poésie dans les grands poëtes de l’antiquité. […] S’il lui arrive de s’estimer à son prix, par comparaison avec les autres ; c’est qu’il ne peut ni ne doit s’exclure de son amour pour la vérité ; mais combien ne se trouve-t-il pas petit en présence de son idéal !
Prudemment nantis du texte allemand, ils traverseront toutes les Flandres pour réentendre cette idéale musique. […] Richard Wagner nous a donné le drame idéal ; en lui élevant une maison exclusivement spéciale, il a clairement indiqué que ce drame ne saurait vivre dans nos théâtres, qu’il doit rester entièrement en dehors d’eux.
Il ne peut même se développer que selon les lois du mécanisme, dont il enveloppe la conception idéale, sous la forme du souvenir et de la prévision. […] Il y a ainsi un côté pratique jusque dans les plus idéales spéculations, en ce sens que nous les acceptons ou ne les acceptons pas dans le monde par nous conçu.
… Ou, non moins sérieux mais plus impersonnel, croirait-il que la Charcuterie est l’Idéal des temps modernes, et l’aurait-il seulement peinte avec l’amour d’un grand artiste pour une grande chose ? […] Il n’a point d’idéal dans la tête, et, comme son siècle, il aime les choses basses, signe du temps, et ne peut s’empêcher d’aller à elles.
Pour achever le contraste, tandis que les génies poétiques de ce temps trahissent, presque tous, en leurs vers une allure plus ou moins aristocratique, soit par culte de l’art, soit par prédilection du passé féodal, soit par mystérieuse chasteté d’idéal dans les sentiments du cœur, Béranger est le seul poëte qui, indépendamment même du choix des sujets, ait gardé la rondeur bourgeoise, l’accent familier, la tournure d’idées ouverte et plébéienne ; par où encore il semble descendre en droite ligne de cette forte lignée à tempérament républicain, qu’on suit, sans hésiter, dans les trois derniers siècles, et de laquelle étaient Étienne de La Boëtie, les auteurs de la Ménippèe, Gassendi, Guy Patin, Alceste un peu je le crois, et beaucoup d’autres.