« Ta vie était liée au long tissu des maux « Que la Parque aux humains file sur ses fuseaux. […] Est-ce, dites-moi, en rapetissant ainsi les mobiles des actions humaines qu’on assied sur un fondement extraordinaire l’édifice d’une merveilleuse épopée ? […] « Aux terrestres humains comment rendre sensibles |r « Des célestes héros les exploits invisibles ? […] Nous savons, par exemple, que la nature et l’industrie humaines ont la double faculté de rebâtir et de repeupler des villes détruites. […] Il nourrit son enchanteresse barbare du sang des victimes humaines ; il l’abreuve de poisons plus mortels que ceux de la Colchide ; il la ceint de couleuvres.
qu’il est doux, disait-il quelque part, dans la retraite (d’un soir d’hiver), à travers le trou de sa serrure, de guetter le monde tel qu’il est fait, de voir tout le remuement de cette Babel et de ne point sentir la foule. » Mais il avait trop de sensibilité, de patriotisme, de mouvements humains et chrétiens pour en restera cet état de spectateur amusé, et il s’échappait à tout instant en élancements et en effusions douloureuses qui peuvent sembler aujourd’hui toucher à la déclamation, mais qui, à les bien prendre et à les saisir dans leur jet, étaient surtout des à-propos éloquents. […] Tout ce livre, d’une teinte morale sombre, est comme une suite d’élancements mystiques, bibliques, patriotiques, humains et fraternels : il a l’inconvénient de ressembler plus d’une fois à de la prédication en vers ; mais, par son esprit et par son ardeur, il suffirait à montrer combien Cowper s’élève au-dessus de l’ordre des poètes descriptifs et pittoresques proprement dits. […] Cette fin de vie de Cowper est triste, humiliante pour l’esprit humain, et bien propre à faire rentrer en soi quiconque est tenté de s’enorgueillir. […] On n’a jamais lutté avec plus de constance et de suite qu’il ne l’a fait contre une folie aussi présente et persistante, « une des plus furieuses tempêtes, disait-il, qui ait été déchaînée sur une âme humaine, et qui ait jamais bouleversé la navigation d’un matelot chrétien. » Une de ses dernières pièces de vers, intitulée Le Rejeté, est la peinture d’un matelot tombé en pleine mer pendant le voyage de l’amiral Anson, et s’efforçant de suivre à la nage le vaisseau d’où ses compagnons lui tendent en vain des câbles, et qu’emporte la tempête : il y voyait une image lugubre de sa destinée. […] On trouverait encore de profondes différences morales entre Rousseau et Cowper, en ce que l’un aspire à se passer d’autrui, affecte de s’isoler et de se mettre en guerre ou en divorce avec le genre humain, et que l’autre, au contraire, aime à devoir aux autres, à ceux qu’il aime, et à se sentir leur obligé.
Par exemple, je me suis dit : Est-ce qu’il ne serait pas permis de manger de la chair humaine ? — Vous vous êtes dit : Il y a peut-être des gens qui se demandent si l’on peut manger de la chair humaine. — Et M. Jouffroy s’est dit : L’idée n’est jamais venue à aucun homme de manger de la chair humaine. — Pourtant il y a des peuplades entières qui en mangent, et qui n’en sont peut-être pas plus mal avec Dieu pour cela. […] Jouffroy, n’ayant pas appris que ces questions existent, n’a pas grand mérite à les nier ; mais vous qui, ayant songé à tout et peut-être goûté à des choses immondes comme font les chimistes, avez déclaré que la chair humaine est mauvaise et malsaine, et vous êtes décidé à vivre d’aliments choisis, apparemment vous avez le discernement, c’est-à-dire, dans le sens moral, la lumière et la force. […] En un mot, elle a la puissance et le cœur, et plus on la connaîtrait en tous ses orages, plus on lui resterait attaché par cet attrait qui intéresse aux natures singulières en même temps que par ce nœud qui lie aux êtres profondément humains.
Ces misères ne sont autres que celles de la nature humaine jusque dans ses échantillons les plus distingués. […] Dès qu’il avait à expliquer quelque circonstance embarrassante et un peu humiliante de son passé, les Cent-Jours, cette folie la plus irréparable des siennes et qui faussa toute sa fin de carrière, les motifs qui, la veille encore, le poussaient, la burlesque tergiversation qui avait suivi, ou même lorsqu’il touchait quelques souvenirs plus anciens de sa vie romanesque et des scènes orageuses qui avaient fait bruit, sa raison toute honteuse prenait les devants, et il s’en tirait à force d’esprit, de verve à ses dépens, de moquerie fine : le genre humain à son tour n’y perdait rien. […] L’orateur était solennel de geste, de chevelure ; il avait l’accent généreux, et revendiquait les droits du genre humain. […] Pline le Jeune a écrit une très-belle lettre92 sur l’indulgence qui n’est qu’une partie de la justice, et il cite un mot habituel de Thraséas, ce personnage à la fois le plus austère, dit-il, et le plus humain : Qui vitia odit, homines odit, voulant faire entendre que pas un de nous n’est hors de cause, et que la sévérité qu’on témoigne contre les défauts passe trop aisément à la haine même des hommes. […] On travaille à séparer le plus qu’on peut les sciences et les lettres de tout ce qui tient à la politique et à toute espèce d’idée d’organisation sociale : je ne dis rien sur ce système ; mais on agit ensuite comme si ce but était déjà atteint, et on protége les lettres, comme si elles étaient déjà dans ce bienheureux état d’indépendance de toutes les agitations humaines.
René resta son premier ouvrage, triste comme la forêt humaine, religieux comme l’infini de la passion, éternellement retentissant comme la solitude du cœur. […] « Je m’imagine que les malheureux qui lisent ce chapitre le parcourent avec cette avidité inquiète que j’ai souvent portée moi-même dans la lecture des moralistes, à l’article des misères humaines, croyant y trouver quelque soulagement. […] N’est-ce que par une cruelle pitié que la nature a placé dans le cœur de l’homme l’espérance d’une meilleure vie à côté des misères humaines ? […] « Cet élément du culte, une fois développé, ouvrit la vaste carrière des superstitions humaines. […] « Des hommes adroits, s’apercevant de ce penchant de la nature humaine à la superstition, en profitèrent.