On y voit au vrai les dispositions de Bernardin au moment où il quitte la Russie, ses préoccupations bien moins romanesques qu’on ne l’a supposé ; les premiers symptômes de l’écrivain encore inexpérimenté et qui veut poindre ; l’utopiste et l’homme à systèmes qui se trahit çà et là ; l’amoureux, assez peu enthousiaste d’ailleurs ; l’ami reconnaissant et fidèle ; le bonhomme qui rêve en tout temps une chaumière et le bonheur de la famille ; le délicat blessé et le misanthrope qui va s’ouvrir aux aigreurs ; puis, à la fin, l’écrivain tout d’un coup célèbre, mais qui garde de ses susceptibilités, et qui porte jusque dans ses scrupules de probité et dans le paiement de ses dettes d’honneur une application et une affectation minutieuses, un coin de maladie. […] Le ciel, qui veillait sur votre ami, n’a pas voulu qu’il entrât dans cette carrière où il ne se trouvait qu’un peu d’honneur parmi beaucoup de dangers. […] J’ai eu l’honneur de souper une fois avec lui, il m’a dit des choses obligeantes. […] J’ai l’honneur d’être avec une vraie amitié, Monsieur, Votre très humble et très obéissant serviteur, De Saint-Pierre. […] Necker alors banquier, elle ne me fit pas l’honneur de me répondre, ce qui me fit de la peine.
Si c’est fête, si nous sommes aux Panathénées, aux Lénéennes ou aux grandes Dionysiaques, les magistrats en sont ; les proèdres, les épistates et les prytanes siègent à leur place d’honneur. […] Aristophane lui fit dire dans les Grenouilles « Je suis mort, mais ma poésie est vivante. » Aux grands jours d’Eleusis, le héraut de l’aréopage souffla en l’honneur d’Eschyle dans la trompette tyrrhénienne. […] On rendait à Eschyle des honneurs inouïs. […] Quatorze trilogies : les Prométhées, dont faisait partie Prométhée enchaîné ; les Sept Chefs devant Thèbes, dont il nous reste une pièce ; la Danaïde, qui comprenait les Suppliantes, écrites en Sicile et ayant trace du « sicélisme » d’Eschyle ; Laïus, qui comprenait Œdipe ; Athamas, qui se terminait par les Isthmiastes ; Persée, dont le nœud était les Phorcydes ; Etna, qui avait pour prologue les Femmes Etnéennes ; Iphigénie, qui se dénouait par la tragédie des Prêtresses ; l’Éthiopide, dont les titres ne se retrouvent nulle part ; Penthée, où étaient les Hydrophores ; Teucer, qui s’ouvrait par le Jugement des armes ; Niobé, qui commençait par les Nourrices et s’achevait par les Gens du cortège ; une trilogie en l’honneur d’Achille, l’Iliade tragique, composée des Myrmidons, des Néréides et des Phrygiens ; une en l’honneur de Bacchus, la Lycurgie, composée des Édons, des Bassarides et des Jeunes hommes.
Quand cette même Athènes voulait témoigner sa reconnaissance à l’orateur qui avait servi l’état et charmé ses concitoyens, elle décernait à Démosthène une couronne d’or ; et, si quelque rival ou quelque ennemi, usant du privilége de la liberté, réclamait contre cet honneur, les nations accouraient de toutes les contrées de la Grèce pour assister à ce combat des talens contre l’envie, et proclamer la victoire d’un grand homme. […] Cette espèce d’illustration est aussi d’un prix réel quand elle est avouée par les suffrages publics ; et la considération sociale qu’elle répand sur les écrivains et les artistes émane de la même source que les honneurs accordés aux services rendus à l’état dans les places et les professions les plus éminentes. […] L’homme de lettres, placé entre un héros et un monarque, a reçu de la patrie les mêmes témoignages de reconnaissance ; des plumes éloquentes en ont augmenté l’éclat et garanti la durée, et cet honneur n’a rien encore qui doive alarmer l’envie ; il n’existe que pour les morts. […] Racine reçut de Louis XIV et de son digne ministre Colbert des récompenses et des honneurs. […] Réunissez dans les mêmes honneurs ces deux hommes trop grands pour que la nature ait pu les réunir dans un même siècle ; et mettez sur leurs statues cette inscription qui les caractérise et qui sera la leçon de tous les âges, le beau et le vrai.
L’honneur est le plus noble aiguillon de la valeur militaire. […] Les peuples, chez lesquels les différents ordres se disputent les honneurs pendant la paix, doivent déployer à la guerre une valeur héroïque ; les uns veulent se conserver le privilège des honneurs, les autres mériter de les obtenir. […] Dans cette période, les nobles se dévouaient pour leur patrie, dont le salut était lié à la conservation des privilèges de leur ordre ; et les plébéiens se signalaient par de brillants exploits pour prouver qu’ils méritaient de partager les mêmes honneurs. […] Dans les démocraties où domine une multitude avide, dès qu’une fois cette multitude s’est ouvert par les lois la porte des honneurs, la paix n’est plus qu’une lutte dans laquelle on se dispute la puissance, non plus avec les lois, mais avec les armes ; et la puissance elle-même est un moyen de faire des lois pour enrichir le parti vainqueur ; telles furent à Rome les lois agraires proposées par les Gracques.
Cette remarque, qui avait échappé au commun du public, a été relevée par La Motte et, depuis, par Voltaire ; ils en font honneur à M. de Lassay. […] À défaut des grandes choses et des hauts emplois qui lui furent refusés, il désira quelques honneurs qui flattent et qui classaient alors ceux qui les obtenaient. […] Lassay, tout en s’en faisant honneur, reconnaissait que ce portrait était flatté, et il répondait au peintre par un mot du maréchal d’Ancre : « Tu me flattes, mais ça me fait plaisir (Tu m’aduli, ma mi piace). » La vieillesse fut son bel âge. […] Les cabales de leurs petites cours et de leurs domestiques qui s’imaginent qu’on leur veut ôter des choses qui leur paraissent grandes, parce qu’elles le sont à leur égard, et dont cependant de certaines gens n’ont aucune envie ; les mauvais offices qu’ils tâchent à vous rendre dans cette vue ; l’insolence de leurs valets avec lesquels il ne faut jamais se commettre et dont il est bien plus sage de souffrir, tout devient insupportable ; on est même honteux de se trouver au milieu de choses si petites ; on veut jouir de l’indépendance et de la liberté dont le désir augmente en vieillissant, et qu’un honnête homme ne peut plus sacrifier avec honneur qu’au service de sa patrie : encore faut-il qu’elle ait besoin de lui.