/ 4213
2188. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires relatifs à la Révolution française. Le Vieux Cordelier, par Camille Desmoulins ; Les Causes secrètes ou 9 thermidor, par Villate ; Précis du 9 thermidor, par Ch.-A. Méda, Gendarme »

Ce fut en de telles mains que tomba en dernier espoir la cause de l’humanité ; et quels qu’aient été ces hommes, qu’on n’oublie pas en les jugeant qu’ils moururent pour elle. […] Mignet, en caractérisant ce journal, a dit que l’auteur y parle de la liberté avec le sens profond de Machiavel, et des hommes avec l’esprit de Voltaire. […] La faute en est à la situation violente où s’étaient placés ces hommes. […] Ce regard du condamné vers les sentiments de famille est d’ailleurs à remarquer, en ce qu’il fut commun à plusieurs hommes de ce parti, à Danton, à Phélippeaux, ainsi qu’à Desmoulins. […] Ainsi finirent les hommes qui les premiers protestèrent contre la Terreur, après l’avoir provoquée, et les derniers qui protestèrent par courage et pitié.

2189. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 4. Physionomie générale du moyen âge. »

Sous la voûte tournante et constellée du ciel, par-delà laquelle résident la Trinité, la Vierge, les anges et les saints, au-dessus de l’horrible et ténébreux enfer d’on sortent incessamment les diables tentateurs, au centre du monde est la terre immobile, « où se livre le combat de la vie, où l’homme déchu mais racheté, libre de choisir entre le bien et le mal. est perpétuellement en butte aux pièges du diable, mais est soutenu, s’il sait les obtenir, par la grâce de Dieu, la protection de la Vierge et des saints8 » : lutte tragique, où la victoire assure à l’homme une éternité de joie, la défaite une éternité de supplices. […] L’éternelle explication satisfait sa curiosité, si elle ne console pas sa souffrance : c’est la vengeance de Dieu pour les péchés des hommes. Et si dure que soit aux hommes l’organisation sociale, ils n’en rêvent pas d’antre. […] Paris9, l’enlèvent à la poésie du moyen âge beaucoup de ce qui fait le charme et la profondeur de celle d’autres époques : l’inquiétude de l’homme sur sa destinée, le sentiment douloureux de grands problèmes moraux, le doute sur les bases mêmes du bonheur et de la vertu, les conflits tragiques entre l’aspiration individuelle et la règle sociale. » Elles tarissent en un mot les profondes sources du lyrisme.

2190. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Préface » pp. -

En ce qui me concerne, je proteste de toutes mes forces contre ce triste reportage… …………………………………………………………………………………………………… … J’ai pour principe que le radotage des sots ne tire pas à conséquence… Et les foudres de cette lettre n’ont pas suffi à l’homme bénin. […] L’homme (Renan) toujours plus charmant et plus affectueusement poli, à mesure qu’on le connaît et qu’on l’approche. […] Voyons, est-ce le langage d’un ennemi, d’un écrivain prêt à dénaturer méchamment les paroles de l’homme, dont il redonne les conversations ? N’est-ce pas plutôt le langage d’un ami de l’homme, mais parfois, je l’avoue, d’un ennemi de sa pensée, ainsi que je l’écrivais dans la dédicace du volume, qui lui était adressé. […] — « J’affirme que les conversations données par moi, dans les quatre volumes parus, sont pour ainsi des sténographies, reproduisant non seulement les idées des causeurs, mais le plus souvent leurs expressions, et j’ai la foi que tout lecteur désintéressé et clairvoyant, reconnaîtra que mon désir, mon ambition a été de faire vrais, les hommes que je portraiturais, et que pour rien au monde, je n’aurais voulu leur prêter des paroles qu’ils n’auraient pas dites.

2191. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Appendice — Mémoires du comte d’Alton-Shée »

Des hommes de plus de soixante ans vous disaient naïvement de lui : « Mais il est bien âgé, on dit qu’il est sourd, il radotera… » Remarquez que c’étaient les plus doux qui parlaient ainsi. A ces honorables sexagénaires, on aurait pu faire remarquer que M. d’Alton-Shée n’avait pas encore soixante ans ; que dans son geste, son allure, dans toute sa personne, il y a toute la prestesse et la vivacité d’un homme encore jeune : il est vrai que la vue lui fait défaut. […] C’est seulement dans l’autre partie, signée de son nom, publiée d’abord dans la Revue moderne avant d’être recueillie en volume, qu’il a mis ses opinions plus sérieuses sur les choses et sur les hommes politiques. […] Mais ce qui m’y frappe et ce que j’en aime, c’est le ton sincère, l’absence du convenu, la connaissance des hommes, la vérité des profils, les traits spirituels et justes qu’on en peut détacher. […] Son mérite, que j’ai entendu apprécier dans mon enfance par des personnes qui l’avaient bien connu, était autre encore que celui d’un brave. « D’Alton aîné connaissait les hommes. » Ce jugement, que je ne songeais point alors à recueillir, est resté gravé dans mon esprit.

2192. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier après les funérailles »

Aucun écrivain n’était plus fait que Nodier pour représenter et pour exprimer par une définition vivante ce que c’est qu’un homme littéraire, en donnant à ce mot son acception la plus précise et la plus exquise. Nos hommes distingués, nos personnages éminents dans les grandes carrières tracées, ne se rendent pas toujours bien compte de ce genre de mérite compliqué, fugitif, et sont tentés de le méconnaître. […] Tout homme né littéraire aime avant tout les lettres pour elles-mêmes ; il les aime pour lui, selon la veine de son caprice, selon l’attrait de sa chimère : Quem tu Melpomene semel. […] Ce sont parfois des poursuites, des entraînements singuliers dont les hommes positifs, les esprits judicieux et qui ne songent qu’à arriver ne se rendent pas bien compte, et auxquels ils sourient non sans quelque pitié. […] Nodier est mort en homme des espérances immortelles, en homme religieux et en chrétien.

/ 4213