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367. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’impératrice Catherine II. Écrits par elle-même, (suite.) »

La pitié était un sentiment pénible et même insupportable à son âme. » Un autre jour, quatre ans plus tard, la Cour étant à Moscou, Catherine eut à entrer dans les appartements du grand-duc pour remettre la paix et le bon ordre parmi ses gens, avec qui il avait l’habitude de boire, qu’il traitait de pair à compagnon, et qu’ensuite il rossait à coups de bâton ou de plat de sabre sans pouvoir les réduire, tandis qu’elle, d’ordinaire, elle y réussissait avec une parole ; et il se voyait quelquefois obligé de recourir à elle pour se tirer d’aflaire. […] Elle avait, à la minute, des réponses et des solutions pour toutes les difficultés : « Le grand-duc, depuis longtemps, an’appelait, nous dit-elle, madame la Ressource, et, quelque fâché ou boudeur qu’il fût contre moi, s’il se trouvait en détresse sur quelque point que ce fût, il venait courir à toutes jambes, comme il en avait l’habitude, chez moi, pour attraper mon avis, et dès qu’il l’avait saisi, il se sauvait derechef à toutes jambes. » Un jour, poursuivi par son secrétaire, qui le relança jusque dans la chambre de la grande-duchesse, elle sut, en moins d’un quart d’heure, avec cinq ou six petits oui ou non, finir des affaires qui traînaient depuis des mois.

368. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Quatre moments religieux au XIXe siècle. »

Le cheval donne de l’orgueil ; il est une habitude de luxe ; croyez-vous que Jésus-Christ soit bien aise de vous voir à cheval, lui qui est entré à Jérusalem sur un âne ? […] Toujours, à l’origine, la foi qui ne doute de rien, la tradition qui se plaît aux habitudes, la routine encroûtée et tenace, se sont opposées à la recherche, et ont lancé d’abord injure et anathème à ceux qui la tentaient : toujours, la découverte une fois démontrée et accomplie, la foi, la tradition vaincues ont dû s’en accommoder, et, reculant un peu, elles ont réparé tant bien que mal leurs lignes rompues, déclarant, toute réflexion faite, que les derniers résultats ne changeaient rien en définitive aux antiques croyances et que, bien au contraire, celles-ci s’en trouvaient confirmées et raffermies.

369. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Le Brun »

Ses habitudes de domesticité trouvent moyen de se concilier avec sa nature énergique. […] Mais un mauvais exemple que Buffon donna à Le Brun, ce fut cette habitude de retoucher et de corriger à satiété, que l’illustre auteur des Époques possédait à un haut degré, en vertu de cette patience qu’il appelait génie.

370. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Rodolphe Topffer »

La seconde moitié n’est pas moins heureuse ni moins simple : quand la célébrité fut venue, il resta le même ; rien ne fut changé à ses habitudes, à ses pensées. […] J’en suis à avoir envie d’apprendre à fumer : l’on dit qu’enveloppé de ces bouffées odorantes, les heures coulent vagues et rêveuses, et qu’avec de l’habitude on devient stagnant comme un Turc.

371. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — II »

Il est une molécule vivante, incessamment excitée et modifiée par l’organisme social dont elle fait partie intégrante ; arrêter la molécule, la monade, au point où on la trouve, la détacher du tout, la soumettre au microscope ou au creuset expérimental, la retourner, la décomposer, la dissoudre, et conclure de là à la nature et à la destinée du tout, c’est absurde ; conclure seulement à la nature et à la destinée de la molécule, c’est encore se méprendre étrangement ; c’est supprimer d’abord, dût-on y revenir plus tard et trop tard, c’est supprimer le mode l’influence que l’individu reçoit du tout, à peu près comme Condillac faisait pour les détails organiques de sa statue, qu’il recomposait ensuite pièce à pièce sans jamais parvenir à l’animer ; c’est, comme lui, par cette suppression arbitraire, rompre l’équilibre dans les facultés du moi et se donner à observer une nature humaine qui n’est plus la véritable et complète nature ; c’est décerner d’emblée à la partie rationnelle de nous-mêmes une supériorité sur les facultés sentimentale et active, une souveraineté de contrôle qu’une vue plus générale de l’humanité dans ses phases successives ne justifierait pas ; c’est immobiliser la monade humaine, lui couper la source intarissable de vie et de perfectibilité ; c’est raisonner comme si elle n’avait jamais été modifiée, transformée et perfectionnée par l’action du tout, ou du moins comme si elle ne pouvait plus l’être ; c’est supposer gratuitement, et le lendemain du jour où l’humanité a acquis la conscience réfléchie de sa perfectibilité, que l’individu de 1830, le chrétien indifférent et sans foi, ne croyant qu’à sa raison personnelle, porte en lui, indépendamment de ce qui pourrait lui venir du dehors, indépendamment de toute conception sociale et de toute interprétation nouvelle de la nature, un avenir facile et paisible qui va découler, pour chacun, des opinions et des habitudes mi-partie chrétiennes, mi-partie philosophiques, mélangées à toutes doses. […] Jouffroy et Damiron, elle est merveilleuse à décrire jusque dans leurs moindres nuances les idées, les sentiments, les habitudes logiques de l’individu de nos jours, tel que le christianisme moins la foi, tel que le christianisme devenu philosophie l’a élaboré ; elle analyse avec beaucoup de sagacité le dernier produit intellectuel de la civilisation chrétienne, mais sans portée pour nous expliquer la formation antérieure de ce produit, sans puissance pour le féconder et le transformer.

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