/ 1872
219. (1809) Quelques réflexions sur la tragédie de Wallstein et sur le théâtre allemand

L’esprit militaire ne peut exister que lorsque l’état de la société est propre à le faire naître, c’est-à-dire lorsqu’il y a un très-grand nombre d’hommes que le besoin, l’inquiétude, l’absence de sécurité, l’espoir et la possibilité du succès, l’habitude de l’agitation, ont jetés hors de leur assiette naturelle. […] On voit ce peuple armé, en proie à toutes les agitations populaires, entraîné par son enthousiasme, ébranlé par ses défiances, s’efforçant de raisonner, et n’y parvenant pas, faute d’habitude ; bravant l’autorité, et mettant pourtant son honneur à obéir à son chef ; insultant à la religion, et recueillant avec avidité toutes les traditions superstitieuses : mais toujours fier de sa force, toujours plein de mépris pour toute autre profession que celle des armes, ayant pour vertu le courage, et pour but, le plaisir du jour. […] Il me semble néanmoins facile de concevoir, malgré nos habitudes contraires, que ce trait, emprunté de la vie commune, est plus propre que la description la plus pathétique à faire ressortir la situation du héros de la pièce, d’un vieux guerrier couvert de gloire, fier de ses droits héréditaires et de son opulence antique, chef naguère de vassaux nombreux, maintenant renfermé dans un dernier asile, et luttant avec quelques amis intrépides et fidèles contre les horreurs de la disette et la vengeance de l’empereur. […] Je crois avoir transporté dans son caractère sa douceur, sa sensibilité, son amour, sa mélancolie ; mais tout le reste m’a paru trop directement opposé à nos habitudes, trop empreint de ce que le très-petit nombre de littérateurs français qui possèdent la langue allemande appellent le mysticisme allemand.

220. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Octave Feuillet »

C’est cette société qui a moins de profondeur que le vernis de son carrossier, et dont les habitudes uniformes peuvent se traduire éternellement par la vie de château, Paris et Trouville, Trouville surtout, où les romanciers envoient à présent leurs romans prendre les bains pour les faire devenir forts, et qui en reviennent aussi faibles et aussi bêtas qu’ils étaient partis. […] Et, véritablement, si effacés, si énervés que nous soyons dans les dernières passions qui nous restent, ce n’est pas encore un fait ordinaire — une habitude dans nos mœurs — que cette commisération conjugale qui fait reprendre à un mari sa femme l’âme pleine d’un homme qui n’est pas le premier, mais le second, qu’elle ait mis dans son cœur. Octave Feuillet a l’habitude de chiffonner dans sa littérature, de retourner ses romans en pièces de théâtre, et je crois bien qu’il retournera celui-ci. […] Octave Feuillet, écrivain plus sobre qu’abondant et moins puissant que svelte, dès son origine a fait comme tous les esprits maigres, — c’est un Jules Sandeau maigre que Feuillet, comme Sandeau est un Octave Feuillet gras, — et il s’est, dans les habitudes du théâtre et du langage qu’on y contracte, desséché et écourté de plus en plus.

221. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre II. La tragédie »

Il sentait que la crainte d’exposer les signes brutaux des passions aux yeux des spectateurs, et l’habitude de montrer seulement les principes moraux des faits, avaient banni à peu près toute espèce d’action de nos tragédies, qui étaient devenues d’assez vides « conversations en cinq actes ». […] Cette habitude d’escompter les effets sûrs, unie au défaut d’invention psychologique, a été cause que Voltaire n’a pu, malgré ses bonnes intentions, se passer des artifices de ses prédécesseurs.

222. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 326-344

On se flattoit qu'en se formant sur les vrais modeles, son goût acquerroit les qualités nécessaires à un bon Ecrivain ; que son imagination renonceroit aux idées gigantesques ; qu'il perdroit l'habitude de peser sur les mots ; qu'il mettroit plus de liaison dans ses phrases, moins d'appareil dans ses réflexions, plus de nombre, d'aisance & de naturel dans son style ; qu'il se déferoit enfin d'un ton de prétention & de pédantisme, qui sentoit trop le nouveau venu de l'Université *. […] &c. mais ce n'est que rarement, & ces expressions ne doivent être regardées que comme un reste d'habitude dont l'Auteur se guérira totalement, en perfectionnant de plus en plus son goût.

223. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Conclusion. »

Ne point lire légèrement, ne point être la dupe des grands noms, ni des écrivains les plus célèbres, former son jugement par l’habitude de réfléchir.

/ 1872