Les fautes, depuis cette époque, ont été entassées de façon qu’on ne pourrait guère les expliquer qu’en supposant de mauvaises intentions. […] Dieu seul peut y mettre ordre. » À Paris, l’exaspération du public était arrivée à son comble dans cet été de 1758, et ce déchaînement dura jusqu’à ce que quelques succès de M. de Broglie, l’année suivante, vinssent rompre l’uniformité des revers : On me menace par des lettres anonymes, écrivait Bernis, d’être bientôt déchiré par le peuple, et, quoique je ne craigne guère de pareilles menaces, il est certain que les malheurs prochains qu’on peut prévoir pourraient aisément les réaliser. […] Ainsi supposez que je sois mort, et il ne s’en faut guère, je vous défie de me trouver un autre successeur que M. de Stainville tant que la paix ne sera pas faite.
Dans le sacré, la réputation de Marolles n’était pas moins établie que dans le profane : Arnauld ne pensait guère de lui autrement que Chapelain. […] Causant donc un jour avec Marolles et dans son cabinet, il le mit sur son sujet favori, et, lui parlant de sa collection que l’heureux possesseur prétendait aussi complète que possible, il éleva un doute, et, ayant excité l’étonnement du bonhomme, il en vint par degrés à lui conter l’histoire : « Je suis bien sûr, concluait-il, que vous n’avez pas cette estampe des Scieux de long 32. » — « Je suis bien vieux, lui répondit Marolles après un court moment de réflexion, et je ne puis guère bouger de mon fauteuil ; mais soyez assez bon pour monter sur ce petit gradin et pour prendre là-haut sur cette tablette (la première ou la seconde) ce grand in-folio que voilà. » Jean Rou fit ce qu’il lui disait, et Marolles n’eut pas plutôt le volume entre les mains qu’il lui montra, à la troisième ou quatrième ouverture de feuillet, la petite estampe si mystérieuse et si désirée dont lui, le petit-fils de Toutin, avait toujours ouï parler sans la voir· — Si vous concevez chez un homme de quatre-vingts ans une plus vive et plus délicieuse satisfaction que celle que Marolles dut éprouver à ce moment, dites-le-moi. […] [NdA] Dans un écrit de Furetière, Nouvelle Allégorique, ou histoire des derniers troubles arrivés au royaume d’Éloquence (1659), on lit : « Il y vint (à l’armée du Bon Sens) un illustre abbé de Marolles, qui poussa ses conquêtes jusques dans les terres de Tibulle, Catulle, Properce, Stace, Lucrèce, Piaule, Térence et Martial ; terres auparavant inconnues à tous ceux de sa nation ; cependant il les dompta, et les mit sous le joug de ses sévères versions, et il les traita avec telle exactitude et rigueur, que de tous les mots qu’il y trouva, il n’y eut ni petit ni grand qu’il ne fît passer au fil de sa plume, et qu’il n’obligeât à parler français et à lui demander la vie… » Ce jugement ne ferait guère d’honneur à la critique de Furetière qui était d’ailleurs un homme d’esprit, mais il est à croire qu’il ne parlait pas sérieusement quand il écrivait cela.
Par cela seul que l’ancienne et première école des Chapelain, des Des Maretz, vécut son cours de nature et se prolongea dans ses choix, Boileau ne fut jamais complètement chez lui à l’Académie ; il ne fut jamais content d’elle ; il n’avait guère que des épigrammes quand il en parlait ; il était presque de l’avis de Mme de Maintenon, à qui l’on reprochait de ne pas la regarder « comme un corps sérieux43 ». […] On a quelquefois donné la série des académiciens par fauteuil : à chaque élection nouvelle d’un membre, on ne manque guère de dire qu’il occupe le fauteuil qu’ont successivement occupé tels ou tels illustres, en remontant jusqu’à l’origine. […] On oublie que, par ces concours qu’elle ouvre à l’émulation des jeunes auteurs, l’Académie semble dire : « Jeune homme, avancez, et là, sur ce parquet uni, au son d’une flûte très simple, mais au son d’une flûte, exécutez devant nous un pas harmonieux ; débitez-nous un discours élégant, agréable, justement mesuré, où tout soit en cadence et qui fasse un tout ; où la pensée et l’expression s’accordent, s’enchaînent ; dont les membres aient du liant, de la souplesse, du nombre ; un discours animé d’un seul et même souffle, ayant fraîcheur et légèreté ; qui laisse voir le svelte et le gracieux de votre âge ; dans lequel, s’il se montre quelque embarras, ce soit celui de la pudeur ; quelque chose de vif, de court, de proportionné, de décent, qui fasse naître cette impression heureuse que procure aux vrais amis des lettres la grâce nouvelle de l’esprit et le brillant prélude du talent. » — Ainsi j’entends cet idéal de début académique, dont il ne se rencontre plus guère d’exemple.
Au moment où ce navire Argo qui portait les poëtes, après maint effort, maint combat durant la traversée contre les prames et pataches classiques qui encombraient les mers et en gardaient le monopole, — au moment où ce beau navire fut en vue de terre, l’équipage avait cessé d’être parfaitement d’accord ; l’expédition semblait sur le point de réussir, mais on n’apercevait guère en face de lieu de débarquement ; les principaux ouvraient des avis différents, ou couvaient des arrière-pensées contraires. […] Toutes ces gentilles petitesses, ce joli grasseyement enfantin, ces amours de l’éphémère et du liseron, qui font le charme de quelques-uns, ne me sont guère appréciables, je l’avoue ; et je me fatigue à tâcher de les aimer. […] Le bien parler me jette dans le ravissement quand j’écoute, mais je n’entretiens guère en moi qu’une délicieuse rêverie, et je n’en suis pas plus savante pour connaître mes fautes, etc., etc. » La lettre est signée Marceline, et non pas Hélène.
Hugo, divers poèmes de M. de Vigny, datent et illustrent la période dont il s’agit ; mais, à part M. de Lamartine qui l’avait ouverte, ces autres poëtes, plus jeunes, n’étaient pas arrivés à leur expansion définitive : ce ne fut guère que de 1824 à 1829, dans la seconde phase du mouvement que nous décrivons, qu’ils montèrent à leur rang, groupant autour d’eux et suscitant une génération fervente. […] Alfred de Musset n’a guère plus de vingt-trois ans, si encore il les a : il a commencé à versifier dès dix-huit. […] Ces personnages mêmes, l’artiste les a poussés d’ordinaire au profil le plus vigoureux et le plus simple, au langage le plus bref et le plus fort ; dans sa peur de l’épanchement et de ce qui y ressemble, il a mieux aimé s’en tenir à ce qu’il y a de plus certain, de plus saisissable dans le réel ; sa sensibilité, grâce à ce détour, s’est produite d’autant plus énergique et fière qu’elle était nativement peut-être plus timide, plus tendre, plus rentrée en elle-même ; elle a fait bonne contenance, elle s’est aguerrie et a pris à son tour sa revanche d’ironie sur le siècle : de là une manière à part, à laquelle toutes les autres qualités de l’auteur ont merveilleusement concouru. — Esprit positif, observateur, curieux et studieux des détails, des faits, et de tout ce qui peut se montrer et se préciser, l’auteur s’est de bonne heure affranchi de la métaphysique vague de notre époque critique, en religion, en philosophie, en art, en histoire, et il ne s’est guère soucié d’y rien substituer.