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188. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre V. Beau côté de l’Histoire moderne. »

En donnant de nouvelles bases à la morale, l’Évangile a modifié le caractère des nations, et créé en Europe des hommes tout différents des anciens par les opinions, les gouvernements, les coutumes, les usages, les sciences et les arts. […] Son gouvernement formé de royauté et d’aristocratie, sa religion moins pompeuse que la catholique, et plus brillante que la luthérienne, son militaire à la fois lourd et actif, sa littérature et ses arts, chez lui enfin le langage, les traits même, et jusqu’aux formes du corps, tout participe des deux sources dont il découle.

189. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — I » pp. 298-315

Il note partout, comme un futur capitaine et politique, l’assiette des places, leurs fortifications, leur commerce, le génie des nations, la forme des gouvernements. […] Mais après Venise, il ne trouvera rien de plus curieux ni de plus admirable qu’Amsterdam et le gouvernement des Provinces-Unies : il le préfère à celui même de Venise. […] Rohan institue, en concluant son récit, une manière de parallèle entre le génie des différents peuples et leur gouvernement. […] Ses gouvernements de Poitou tombèrent au pouvoir des armées royales ; il organisait la résistance dans le Midi. […] C’est une entreprise bien difficile, pour ce que la perte des choses certaines et présentes qu’on voit et qu’on touche est préférable, parmi un peuple ignorant, aux choses dont les événements sont incertains et les utilités éloignées : et nul ne peut bien comprendre cette difficulté, qui ne l’a expérimentée au gouvernement des peuples.

190. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Il semble avoir été écrit en prévision du 18 Fructidor et des déportations prochaines : on n’ose dire pourtant que la Guyane et Sinnamari aient en rien répondu à la description des colonies nouvelles que proposait Talleyrand d’un air de philanthropie, et en considération, disait-il, « de tant d’hommes agités qui ont besoin de projets, de tant d’hommes malheureux qui ont besoin d’espérances. » Il y disait encore, en vrai moraliste politique : « L’art de mettre les hommes à leur place est le premier peut-être dans la science du gouvernement ; mais celui de trouver la place des mécontents est, à coup sûr, le plus difficile, et présenter à leur imagination des lointains, des perspectives où puissent se prendre leurs pensées et leurs désirs est, je crois, une des solutions de cette difficulté sociale. » Oui, mais à condition qu’on n’ira pas éblouir à tout hasard les esprits, les leurrer par de vains mirages, et qu’une politique hypocrite n’aura pas pour objet de se débarrasser, coûte que coûte, des mécontents. […] M. de Talleyrand cependant s’est remué, il a intrigué, il a plu à Barras ; il est entré, par lui, dans le gouvernement. […] On y voit cette négociation secrète exposée de point en point dans les dépêches des commissaires à leur gouvernement. […] On sait, en effet, que Talleyrand fut toujours très attentif à faire disparaître toute trace écrite de son intervention dans certains événements, bien sûr ensuite de pratiquer à l’aise la maxime : « Tout mauvais cas est niable. » Ainsi en 1814, dès qu’il se vit chef du gouvernement provisoire, il n’eut rien de plus pressé que de faire enlever des archives du cabinet de l’Empereur tout ce qui pouvait le compromettre. […] Répondant dans cet écrit à ses ennemis et ses détracteurs, il disait : « Ils osent affirmer que c’est moi qui ai aliéné de nous les États-Unis, lorsqu’ils savent bien qu’au moment précis où ils impriment cet étrange reproche, des négociateurs américains arrivent en France, et qu’ils ne peuvent ignorer la part qu’il m’est permis de prendre dans cet événement, à raison du langage plein de déférence, de modération et j’ose dire aussi de dignité, que je leur ai adressé au nom du Gouvernement français… » Il sut les attirer en effet par d’adroites paroles ; mais comment les actes et les procédés y répondirent-ils, et que devint cette dignité de ton en présence des faits ?

191. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. de Lamartine. (Les deux premiers volumes. — Pagnerre.) » pp. 389-408

« Je dépasse à peine le milieu de la vie, dit-il dans le préambule de son Histoire, et j’ai vécu déjà sous dix dominations, ou sous dix gouvernements différents en France. » Et il énumère tous les gouvernements qui se sont succédés depuis soixante ans, à commencer par Louis XVI. […] Parlant de Napoléon avec rigueur, et en ceci, je crois, avec une souveraine injustice, il dira : « Il y avait un arrière-souvenir de la Terreur de 1793 dans le gouvernement de cet homme, qui avait vécu, grandi et pratiqué les hommes de ce temps. » M. de Lamartine a dû méditer cette pensée avant de l’écrire, mais il n’a certainement pas relu sa phrase, car le style en est grammaticalement impossible. […] Quand il a eu à citer les proclamations du gouvernement provisoire (t.  […] Les premiers tâtonnements du gouvernement royal et les premiers balbutiements du régime de publicité et de discussion sont également saisis et rendus avec une justesse pleine de largeur.

192. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — II. » pp. 494-514

Homme d’observation toutefois et de bon sens avant tout, absolument étranger par ses origines comme par ses habitudes d’esprit aux doctrines du droit divin, il est évident pour ceux qui le lisent que, s’il avait vécu, il ne se serait nullement considéré comme enchaîné à la Restauration, et qu’il eût fait mieux que consentir à l’essai de monarchie constitutionnelle de Louis-Philippe : il aurait cru un moment y voir la réalisation tardive de ce qu’il avait longtemps désiré et de ce dont il avait désespéré tant de fois, l’établissement d’un gouvernement mixte, devenu enfin possible en France après ces trente ou quarante ans d’une éducation préliminaire si chèrement achetée. […] Il ajoutait qu’une partie des principes du jour ayant résisté aux horreurs de la Révolution, « la génération courante, infectée de ce levain, ne pourrait s’en délivrer qu’avec le temps et sous un gouvernement ferme et éclairé ». […] Si je pouvais faire en sorte, disait Montesquieu, que tout le monde eût de nouvelles raisons pour aimer ses devoirs, son prince, sa patrie, ses lois ; qu’on pût mieux sentir son bonheur dans chaque pays, dans chaque gouvernement, dans chaque poste où l’on se trouve, je me croirais le plus heureux des mortels. […] Le vulgaire court à cet essai comme l’avare à une opération de magie qui lui promet des trésors, et, dans cette fascination puérile, chacun espère de rencontrer à la fin ce qu’on n’a jamais vu, même sous les plus libres gouvernements, la perfection immuable, la fraternité universelle, la puissance d’acquérir tout ce qui nous manque et de ne composer sa vie que de jouissances. […] Et en effet, le seul remède qu’indiquât Mallet du Pan, ce lointain remède de la monarchie constitutionnelle, est présenté par lui dans des termes qui marquent bien à quel point il en sentait l’incertitude dans son application à la France : Si jamais, disait-il, un législateur tire la France de l’oppression de ses légistes et la ramène à un gouvernement, ce ne peut être par une législation simple adaptée aux convenances primitives.

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