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598. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Quand on parle de goût et qu’on célèbre celui de l’ancienne société, celui de quelques hommes en particulier dont M. de Talleyrand était comme le type accompli, il faut bien s’entendre et se garder de confondre le goût social et le goût littéraire ; car en matière de littérature et surtout de poésie, ces gens d’esprit en étaient restés aux formes convenues de leur jeunesse et aux lieux communs de leur éducation première ; on en a une singulière preuve dans la lettre suivante : « 18 (août 1828) Bourbon. […] C’est, je le répète, et toute l’histoire des salons le prouve, qu’un certain mauvais goût littéraire est très compatible avec le goût social le plus délicat. […] S’il avait eu, comme Chateaubriand, le goût des contrastes, son imagination aurait eu beau jeu à se déployer par la comparaison de son succès personnel à Londres en 1830 et de la souveraine considération dont il jouissait, avec l’accueil si défavorable (pour ne pas dire pis) qui lui avait été fait trente-huit années auparavant en janvier 1792, lorsqu’il y était venu chargé d’une mission secrète de la part d’un gouvernement décrié que le choix qu’on faisait de lui décriait encore davantage41.

599. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VIII. La question de gout ce qui reste en dehors de la science » pp. 84-103

Question de goût, puisqu’il s’agit d’apprécier, non plus seulement de constater, et question singulièrement délicate ! […] C’est en matière de goût, de préférences, de prédilections qu’on peut répéter le mot de Pascal : « Vérité en deçà des Pyrénées ! […] Malheureusement on s’aperçut un jour que ces règles étaient en grande partie arbitraires, qu’elles étaient du moins la cristallisation d’un goût éphémère, l’expression d’une seule époque, un effort stérile et dangereux pour mettre l’éternel dans le passager ; qu’elles ne pouvaient s’appliquer sans injustice au passé, en même temps qu’elles devenaient des entraves pour l’avenir. […] (Ainsi l’ouïe et la vue, sens intellectuels par excellence, prêtent à des sensations plus relevées, plus nobles que le goût et l’odorat.) […] § 9. — Est-ce à dire que cette formule puisse être appliquée presque mécaniquement, comme une formule d’algèbre ; qu’elle dispense l’historien de la littérature d’avoir le sentiment vif et affiné des choses littéraires ; qu’elle supprime par suite, dans ses jugements, tout élément d’incertitude dû à l’intervention du goût personnel ?

600. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Le duc de Lauzun. » pp. 287-308

Une des plus jolies, c’est le tour qu’il joua à un honorable chasseur de renards qui aspirait à la main de miss Marianne Harland, une jeune Anglaise des plus mignonnes et un peu plus qu’espiègle, qui s’était prise de goût pour Lauzun. […] Jusque-là, ce qu’aimait par goût cette gracieuse, élégante et aimable reine, c’était une vie douce, agréable, une vie égayée et ornée, au sein d’une société aussi particulière et aussi familière qu’il était possible à la Cour. […] On comprit que le goût qu’inspirait Lauzun n’avait pas cessé. […] Lauzun avait commencé à lui être infidèle avant même de l’avoir épousée car dans le temps où il allait lui faire sa cour au parloir de Port-Royal, ayant eu occasion d’y rencontrer Mlle de Beauvau (depuis princesse de Poix), il se prit de goût pour celle-ci et lui fit une déclaration par lettre ; il sollicitait son aveu pour rompre l’union projetée et la demander à ses parents « Elle eut horreur de la proposition du duc, et lui renvoya immédiatement sa lettre recachetée. […] La princesse de Poix la comparait à une héroïne de roman anglais, avec d’autant plus de raison que les goûts de Mme de Lauzun avaient devancé l’anglomanie qui commençait à poindre : la langue anglaise lui était familière comme la sienne propre, la littérature de ce pays faisait ses délices. » (Vie de la princesse de Poix, par la vicomtesse de Noailles, 1855, ouvrage tiré à un petit nombre d’exemplaires, p. 19 et 33.)

601. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — I. » pp. 41-62

Le goût de l’étude fut de tout temps sa grande passion. […] L’œuvre de Montesquieu est tout incrustée de ces fragments d’autels : « J’avoue mon goût pour les anciens, s’écrie-t-il ; cette antiquité m’enchante, et je suis toujours prêt à dire avec Pline : “C’est à Athènes que vous allez, respectez les dieux11 !”  […] Ce qui donne bien aux Lettres persanes leur date et le cachet de la Régence, c’est la pointe d’irrévérence et de libertinage qui vient là pour relever le fond et l’assaisonner selon le goût du jour. […] Dans ce sérail sont des femmes qu’il distingue et qu’il aime particulièrement, et l’auteur ne serait pas fâché de nous intéresser à cette partie romanesque, d’un goût asiatique très recherché et très étudié. […] Le Temple de Gnide (1725) est une erreur de goût et une méprise de talent.

602. (1889) Ægri somnia : pensées et caractères

Mais son goût n’est pas plus platonique que le goût de la liberté chez ses adorateurs. […] Le même Mignet, dans le cours du même entretien, avait bien voulu me reconnaître, entre autres traits, le goût. […] Ils en avaient le don et le goût. […] Je doute qu’il l’eût voulu changer pour le métier d’écrire, non selon mon goût, mais selon le sien. […] Le goût en a déterminé le nombre.

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