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1520. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque » pp. 2-79

Pétrarque, par cette décence naturelle qui est la noblesse de l’esprit et par ce goût du beau dans les sentiments qui est le préservatif du vice, se maintint chaste, pieux et pur dans ce relâchement universel des mœurs. […] Il se lia d’une amitié étroite avec Jacques Colonna, de la grande famille romaine de ce nom ; cette amitié, fondée sur un goût commun et passionné pour les lettres antiques et pour la vertu, fut pour lui une consolation et une fortune. […] Un grand goût de solitude le saisit ; il alla plus fréquemment chercher le silence sans trouver l’oubli dans la vallée alors presque sauvage de Vaucluse. […] Je me suis défriché deux petits jardins qui siéent merveilleusement à mes goûts. […] Un jour qu’il était sorti de Parme pour se dissiper à l’ordinaire, le goût de la promenade l’ayant entraîné, il passa la rivière de Lenza, qui est à trois lieues de la ville, et se trouva sur le territoire de Rheggio, dans une grande forêt qu’on nomme Silva piana quoiqu’elle soit sur une colline fort élevée, d’où l’on découvre les Alpes et toute la Gaule cisalpine.

1521. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (1re partie) » pp. 397-476

Ne déterminons donc pas la prééminence entre ces deux grands arts ; cette prééminence est en nous et non dans l’art lui-même : à chacun son goût, à chacun son art. […] La peinture, dans chacune de ces villes ou de ces nations, prit non seulement le caractère du chef d’école, mais elle prit le caractère de l’école et du peuple où elle fut cultivée par ces grands hommes du pinceau : Titanesque avec Michel-Ange, plus païen que chrétien dans ses œuvres, et qui semble avoir fait poser des Titans devant lui ; Tantôt mythologique, tantôt biblique, tantôt évangélique, toujours divine avec Raphaël, selon qu’il fait poser devant sa palette des Psychés, des saintes familles, des philosophes de l’école d’Athènes, le Dieu-homme se transfigurant dans les rayons de sa divinité devant ses disciples, des Vierges-mères adorant d’un double amour le Dieu de l’avenir dans l’enfant allaité par leur chaste sein ; Païenne avec les Carrache, décorateurs indifférents de l’Olympe ou du Paradis ; Pastorale et simple avec le Corrége, qui peint, dans les anges, l’enfance divinisée, et dont le pinceau a la mollesse et la grâce des bucoliques virgiliennes ; Souveraine et orientale avec Titien, qui règne à Venise pendant une vie de quatre-vingt-quinze ans sur la peinture comme sur son empire, roi de la couleur qu’il fond et nuance sur sa toile comme le soleil la fond et la nuance sur toute la nature ; Pensive et philosophique à Milan avec Léonard de Vinci, qui fait de la Cène de Jésus-Christ et de ses disciples un festin de Socrate discourant avec Platon des choses éternelles ; quelquefois voluptueux, mais avec le déboire et l’amertume de la coupe d’ivresse, comme dans Joconde, cette figure tant de fois répétée par lui du plaisir cuisant ; Monacale et mystique avec Vélasquez et Murillo en Espagne, faisant leurs tableaux, à l’image de leur pays, avec des chevaliers et des moines sur la terre et des houris célestes dans leur paradis chrétien ; Éblouissante avec Rubens, moins peintre que décorateur sublime, Michel-Ange flamand, romancier historique qui fait de l’histoire avec de la fable, et qui descend de l’Empyrée des dieux à la cour des princes et de la cour des princes au Calvaire de la descente de croix, avec la souplesse et l’indifférence d’un génie exubérant, mais universel ; Profonde et sobre avec Van-Dyck, qui peint la pensée à travers les traits ; Familière avec les mille peintres d’intérieur, ou de paysage, ou de marine, hollandais ; artistes bourgeois qui, pour une bourgeoisie riche et sédentaire, font de l’art un mobilier de la méditation ; Enfin mobile et capricieuse en France, comme le génie divers et fantastique de cette nation du mouvement : Pieuse avec Lesueur ; Grave et réfléchie avec Philippe de Champagne ; Rêveuse avec Poussin ; Lumineuse avec Claude Lorrain ; Fastueuse et vide avec Lebrun, ce décorateur de l’orgueil de Louis XIV ; Légère et licencieuse avec les Vanloo, les Wateau, les Boucher, sous Louis XV ; Correcte, romaine et guindée comme un squelette en attitude avec David, sous la République ; Militaire, triomphale, éclatante et monotone, alignée comme les uniformes d’une armée en revue, sous l’Empire ; Renaissante, luxuriante, variée comme la liberté, sous la Restauration ; tentant tous les genres, inventant des genres nouveaux, se pliant à tous les caprices de l’individualité, et non plus aux ordres d’un monarque ou d’un pontife ; Corrégienne avec Prud’hon ; Michelangelesque avec Géricault dans sa Méduse ; Raphaëlesque avec Ingres ; Flamande avec éclectisme et avec idéal dans Meyssonnier ; Sévère et poussinesque dans le paysage réfléchi avec Paul Huet ; Hollandaise avec le soleil d’Italie sous le pinceau trempé de rayons de Gudin ; Bolonaise avec Giroux, qui semble un fils des Carrache ; Idéale et expressive avec Ary Scheffer ; Italienne, espagnole, hollandaise, vénitienne, française de toutes les dates avec vingt autres maîtres d’écoles indépendantes, mais transcendantes ; Vaste manufacture de chefs-d’œuvre d’où le génie de la peinture moderne, émancipée de l’imitation, inonde la France et déborde sur l’Europe et sur l’Amérique ; magnifique époque où la liberté, conquise au moins par l’art, fait ce que n’a pu faire l’autorité ; république du génie qui se gouverne par son libre arbitre, qui se donne des lois par son propre goût, et qui se rémunère par son immense et glorieux travail. […] Ainsi ce n’est pas seulement l’homme, ce n’est pas seulement l’inclination de notre propre goût, c’est le genre qui nous fait choisir Léopold Robert pour vous parler aujourd’hui de la littérature peinte dans les œuvres de cet étrange génie, le Raphaël de la pure nature, exprimée, en dehors de toute convention de religion, d’histoire ou d’école, par le pinceau d’un berger du Jura. […] Robert y prit le goût de la rectitude et de la sobriété des lignes de ses figures ; il ne pouvait y prendre ni l’expression des physionomies, ni la passion, ni le mouvement, ni le coloris, triple vie du tableau qui manquait entièrement à son maître. […] La poésie lettrée ou illettrée est chose de jeunesse ; une fois aux prises avec les occupations actives et sérieuses de la vie, on ne se passionne plus pour ces fables chantées qu’on nomme les poèmes : l’âge mûr n’a pas le temps, la vieillesse n’a plus le goût de ces rêveries ; on songe à vivre, on pense à mourir.

1522. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIIe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin » pp. 225-319

La nature des ouvrages rappelait les occupations sérieuses du père, du fils, et surtout de la fille aînée, mademoiselle Eugénie de Guérin, qui remplaçait la mère par nécessité, par vertu et par goût, auprès de son frère Maurice et de sa plus jeune sœur. […] La lecture, l’écriture, un peu de latin pour qu’elle pût suivre plus tard les études domestiques de son jeune frère, l’intelligence et le goût des livres classiques français qui étaient le fond de la bibliothèque de la vieille maison, quelques-uns des modernes, tels que Chateaubriand et Lamennais, qui venaient de revernir le catholicisme, enfin un petit nombre de livres tout à fait nouveaux, venus de Paris par des amis qui les prêtaient au Cayla : voilà l’éducation de mademoiselle de Guérin, éducation toute passée d’abord par l’âme du père, comme l’eau suspecte filtrée par le crible. […] Il n’en était pas de même autrefois, mais les goûts changent et le cœur se déprend chaque jour de quelque chose. […] Je tire tout de là, car vraiment, sur la terre, je trouve bien peu de choses à mon goût. […] Ce goût avait ému son cœur, mais le doigt sur la bouche du silence et de la pureté virginale de cette âme n’avait rien laissé éclater, même en elle-même.

1523. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (1re partie) » pp. 413-491

Envoyé à l’université de Turin, comme toute la jeune noblesse, il y passa huit ans, qu’il raconte aussi puérilement que son âge, cherchant avec un soin jaloux et ridicule à y faire remarquer à ses biographes futurs quelques symptômes de son prodigieux génie tragique ; il n’y découvre que des enfantillages sans goût et sans valeur. […] La médiocrité et le goût barbare des constructions ; la ridicule et mesquine magnificence du petit nombre de maisons qui prétendent au titre de palais ; la saleté et le gothique des églises ; l’architecture vandale des théâtres de cette époque, et tant, tant, tant d’objets déplaisants qui, tous les jours, passaient devant mes yeux, sans compter le plus amer de tous, ces visages plâtrés de femmes si laides et si sottement attifées ; tout cela n’était pas assez racheté à mes yeux par le grand nombre et la beauté des jardins, l’éclat et l’élégance des promenades où se portait le beau monde, le goût, la richesse et la foule innombrable des équipages, la sublime façade du Louvre, la multitude des spectacles, bons pour la plupart, et toutes les choses du même genre. […] Je bénirai toujours le moment où j’y arrivai, car je m’y composai un petit cercle de six ou sept hommes doués de sens, de jugement, de goût et d’instruction, ce qu’on aura peine à croire d’un pays aussi petit. […] Elle avait vingt-cinq ans ; un goût très vif pour les lettres et les beaux-arts ; un caractère d’ange, et, malgré toute sa fortune, des circonstances domestiques, pénibles et désagréables, qui ne lui permettaient d’être ni aussi heureuse ni aussi contente qu’elle l’eût mérité.

1524. (1767) Salon de 1767 « Peintures — La Grenée » pp. 90-121

La découpure de l’homme d’un grand sens, et d’un grand goût, en approche le plus. […] Les peintres se jettent dans cette mitologie, ils perdent le goût des événements naturels de la vie ; et il ne sort plus de leurs pinceaux que des scènes indécentes, folles, extravagantes, idéales, ou tout au moins vuides d’intérêt. […] La première, c’est que les sujets réels sont infiniment plus difficiles à traiter, et qu’ils exigent un goût étonnant de vérité ; la seconde, c’est que les jeunes élèves préferent et doivent préférer les scènes où ils peuvent transporter les figures d’après lesquelles ils ont fait leurs premières études. […] Point d’âme, point de goût, point de vie. […] C’est sous une pareille constitution que les beaux-arts n’ont que le rebut des conditions subalternes ; c’est sous un ordre de choses aussi extraordinaire, aussi pervers qu’ils sont ou subordonnés à la fantaisie et aux caprices d’une poignée d’hommes riches, ennuyés, fastidieux, dont le goût est aussi corrompu que les mœurs, ou abandonnés à la merci de la multitude indigente qui s’efforce, par de mauvaises productions en tout genre, de se donner le crédit et le relief de la richesse.

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