Véron toutes mes objections : il prit la peine de les combattre ; il me parla en homme de goût qui sent la littérature, et en homme d’esprit qui connaît son public.
Elle était tentée d’accuser le cou d’être un peu court, mais elle se reprenait en considérant que la tête était inclinée. à son avis, le goût de la coëffure pouvait être plus grand ; mais lorsque l’œil s’arrêta sur les épaules, elle ne put s’empêcher de s’écrier : les belles épaules !
Avec tout cela les dessins de Cochin sont faits avec un esprit infini, d’un goût exquis ; il y a de la verve, du tact, du ragoût, du caractère, de l’expression, cependant arrangés de pratique.
Aussi quoique Berenice soit une piece très methodique et parfaitement bien écrite, le public ne la revoit pas avec le même goût que Phédre et qu’Andromaque.
Ajoutons que, tout en faisant la guerre à Théocrite contre ceux qu’il appelait les savants, et qui, dans ce cas-ci, n’étaient pas autres que les gens de goût, Fontenelle lui-même semble reconnaître son impuissance, et il rend les armes lorsqu’il dit : « Quoi qu’il en soit, je vois que toute leur faveur est pour Théocrite, et qu’ils ont résolu qu’il serait le prince des poëtes bucoliques. » Ils l’ont résolu en effet, et, comme quiconque remonte sincèrement à la source est aussitôt de leur sentiment, l’arrêt toujours rajeuni ne saurait manquer de vivre1. […] Je n’impute pas aux poëtes cette grossièreté ; les hommes apparemment n’étaient pas alors plus avancés en matière d’amour, et les poëtes de ce temps n’auraient pas plu si le goût général avait été plus délicat que le leur. » Puis, prenant à partie l’ode célèbre de Sapho, traduite par Boileau, le spirituel critique, en infirme qu’il est, n’y voit que l’image de convulsions qui ne passent pas le jeu des organes : « L’amour n’y paraît, ajoute-t-il, que comme une fièvre ardente dont les symptômes sont palpables ; il semble qu’il n’y avait qu’à tâter le pouls aux amants de ce temps-là, comme Érasistrate fit au prince Antiochus quand il devina sa passion pour Stratonice. » Poussant jusqu’au bout les conséquences de son idée, La Motte en vient à déclarer sa préférence pour Ovide, qui déjà laissait bien loin derrière lui Théocrite et Virgile sur le fait de la galanterie ; mais Ovide n’était rien encore en comparaison des modernes et de d’Urfé, qui a comme découvert le monde du cœur dans tous ses plis et replis : « C’est une espèce de prodige, remarque La Motte, que l’abondance de ces sortes de sentiments répandus dans Cyrus et dans Cléopâtre, comparée à la disette où se trouvent là-dessus les anciens. » Et quant au fameux exemple de la Phèdre de Racine, qui remet en spectacle ce même amour reproché par lui aux anciens, le critique s’en tire habilement : « Ce qui est chez eux un manque de choix, dit-il, devient ici le chef-d’œuvre de l’art. […] Sachons bien toutefois qu’en matière de poésie, le goût français, s’il n’y prend garde, est toujours enclin à tenir de ces deux hommes-là plus qu’il ne se l’avoue. […] En ne se prenant ainsi qu’à la portion piquante et curieuse de l’idylle grecque, et en laissant de côté la seconde moitié qui est tout un ardent récit de l’égarement, Virgile a fait preuve de goût ; il n’a pas essayé de lutter contre un petit poëme accompli ; il se réservait de prendre ailleurs sa revanche en fait d’amour, et, sans s’attaquer à la violente et brève Simétha, il préparait les langueurs passionnées de sa Didon. […] Voltaire, avec sa promptitude de goût, ne s’y est pas trompé, et il dit dans une lettre : « Ce Théocrite, à mon sens, était supérieur à Virgile en fait d’églogue. » 2.