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1485. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « M. Deschanel et le romantisme de Racine »

Racine a eu tort de flatter Mme de Montespan s’il ne l’aimait pas : on ne saurait le blâmer d’avoir loué Mme de Maintenon, qui avait du goût pour lui, pour laquelle il semble avoir eu beaucoup d’affection, qui était pieuse à une époque où il était lui-même dévot, et qui, enfin, était peut-être plus femme qu’on ne croirait : ces personnes graves, décentes et avisées, ont parfois de grandes séductions. […] Naturellement cette complexité d’éléments, leur appropriation au goût du XVIIe siècle paraît à M.  […] Chacune de ses pièces nous offre un sujet antique ou exotique approprié au goût des contemporains de Louis XIV et par suite nous présente à la fois l’homme des temps lointains ou des « pays étranges », l’homme du XVIIe siècle et l’homme de tous les temps. […] Il faut bien reconnaître qu’au temps de Racine on n’avait pas, au même degré qu’aujourd’hui, l’intelligence du passé, le sentiment et le goût de l’exotique, la notion de la variété profonde des types humains.

1486. (1856) Cours familier de littérature. I « Digression » pp. 98-160

La littérature telle que nous la comprenons n’a pas seulement des goûts, elle a du cœur ; et quand le cœur a fait une partie du talent d’un écrivain, ce n’est pas à la gloire seulement, c’est à la tendresse de mener son deuil. […] Son entretien avait la soudaineté, l’émotion, l’accent des poètes, avec la bienséance de la jeune fille ; elle n’avait, à mon goût, qu’une imperfection, elle riait trop ; hélas ! […] Frappée des dispositions précoces de cette enfant pour la poésie, elle l’avait cultivée comme on cultive une dernière espérance de célébrité domestique, quand on a soi-même le goût de la gloire et qu’on vieillit sans l’avoir pleinement savourée. […] » Mais le goût naturel et exquis de la jeune fille la défendait contre l’abus.

1487. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. Louis de Viel-Castel » pp. 355-368

M. de Viel-Castel était de ces jeunes esprits, éclos non pas au début, mais sur le déclin de la Restauration, qui en avaient reçu pleinement le souffle politique et l’influence, qui en auraient voulu le succès sans les fautes ; il en a gardé le goût sans en avoir le culte, sans en porter le deuil ; il la connaît à fond, hommes et actes ; il la juge. […] Il avait la vanité de vouloir qu’on s’attachât à lui, à lui seul, à sa personne encore plus qu’au monarque ; il lui fallait, à toute heure, être adoré, adulé pour son esprit, cajolé pour son érudition, pour sa mémoire, pour l’irréfragabilité de son goût, échanger de petits soins, des confidences, de perpétuels témoignages, jusqu’au moment où il rejetait une habitude si chère pour une autre qui, à l’instant, la lui faisait oublier.

1488. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Étude sur la vie et les écrits de l’abbé de Saint-Pierre, par M. Édouard Goumy. L’abbé de Saint-Pierre, sa vie et ses œuvres, par M. de Molinari. — II » pp. 261-274

Voltaire, en quatre pages intitulées : Ce gu’on ne fait pas et ce qu’on pourrait faire 47, et où il conseille en badinant, a plus fait pour donner le goût des améliorations sociales et d’une civilisation perfectionnée, que l’abbé de Saint-Pierre en ses trente volumes. […] Sitôt que ces enfants étaient en âge, il leur faisait apprendre à tous un métier de leur goût, n’excluant que les professions oiseuses, futiles, ou sujettes à la mode, telles, par exemple, que celle de perruquier, qui n’est jamais nécessaire, et qui peut devenir inutile d’un jour à l’autre, tant que la nature ne se rebutera pas de nous donner des cheveux. » On reconnaît bien là notre consciencieux abbé qui faisait tout tourner à l’utile, même ses habitudes ancillaires, et qui peuplait de ses bâtards les divers corps de métiers.

1489. (1861) La Fontaine et ses fables « Première partie — Chapitre I. L’esprit gaulois »

Ce goût n’a rien non plus de commun avec la franche satire, qui est laide, parce qu’elle est cruelle ; au contraire, il provoque la bonne humeur ; on voit vite que le railleur n’est point méchant, qu’il ne veut point blesser ; s’il pique, c’est comme une abeille sans venin : un instant après, il n’y pense plus ; au besoin il se prendra lui-même pour objet de plaisanterie ; tout son désir est d’entretenir en lui-même et en vous un pétillement d’idées agréables. — Telle est cette race, la plus attique des modernes, moins poétique que l’ancienne, mais aussi fine, d’un esprit exquis plutôt que grand, douée plutôt de goût que de génie, sensuelle, mais sans grossièreté ni fougue, point morale, mais sociable et douce, point réfléchie, mais capable d’atteindre les idées, toutes les idées, et les plus hautes, à travers le badinage et la gaieté.

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