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576. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « M. de Pontmartin. Les Jeudis de Madame Charbonneau » pp. 35-55

Peu s’en faut que vous n’ajoutiez, et je crois que vous l’avez dit : « Enfin j’ai trouvé mon genre. » Que si vous n’avez pas recueilli dans le volume tout ce que vous aviez inséré dans la feuille, c’est que vous aviez, au moment de cette seconde publication, quelques ménagements à garder, c’est que vous ne vouliez pas mettre tout le monde contre vous à la fois, que vous ne vouliez pas vous fermer toutes les portes ; mais ces articles, d’abord dissimulés, et qui étaient restés comme des soldats couchés dans le fossé, attendant pour se montrer un nouveau signal, ont été levés par des indiscrets, et maintenant tout est connu ; je parlerai donc du tout. […] Cela me fait sourire de penser que M. de Pontmartin a eu sa chute, toute proportion gardée, comme Lamennais, comme Chateaubriand, quand ce grand transfuge renia ses dieux.

577. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Daphnis et Chloé. Traduction d’Amyot et de courier »

Deux enfants, Daphnis et Chloé, nés vers le même temps, ou plutôt à deux années de distance l’un de l’autre (afin que la proportion des âges entre garçon et fille soit mieux gardée), ont été exposés par leurs parents dans la campagne, et tous deux aussi ont cela de commun d’avoir été allaités merveilleusement, l’un par une chèvre, l’autre par une brebis. […] Le paysage est tout à fait dans le style du Poussin, et quelques traits ont suffi pour dessiner dans la perfection le fond sur lequel se détachent les personnages. » Ils en reparlèrent encore les jours suivants ; mais ce fut dans la conversation du 20 mars 1831, pendant le dîner, que les idées échangées entre Gœthe et son disciple épuisèrent le sujet ; on y trouve le jugement en quelque sorte définitif sur cette production charmante,    Goethe venait de relire l’ouvrage dans le texte de Courrier-Amyot, et il en était plein ; son imagination tout hellénique s’en était sentie consolée et rajeunie : « Le poème est si beau, disait-il, que l’on ne peut garder, dans le temps misérable où nous vivons, l’impression intérieure qu’il nous donne, et chaque fois qu’on le relit, on éprouve toujours une surprise nouvelle.

578. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Octave Feuillet »

Je me garderai bien, pour commencer, de donner ni même d’avoir par-devers moi une théorie du roman. […] N’y a-t-il donc pas moyen pour un auteur aimé de garder tout son public, et de continuer de le charmer, sans paraître lui donner des gages comme à un parti ?

579. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire des cabinets de l’Europe pendant le Consulat et l’Empire, par M. Armand Lefebvre. »

L’idée du bruit, de la publicité, de la gloriole, ne venait jamais tenter ces serviteurs méritants et obscurs du roi ou de l’État (c’était tout un) ; ils touchaient du doigt le nœud des questions pendantes, le ressort des plus grands événements et des fortunes souveraines ; ils avaient à leur disposition des trésors de documents, les sources de l’histoire ; ils les gardaient avec religion. […] Si, par un hasard qui n’en était pas un et qui devait assez souvent se produire, quelque pièce dont ils étaient les premiers auteurs et rédacteurs sortait au jour, si quelque combinaison dont ils avaient suggéré le plan prenait corps et vie et devenait manifeste, ils se gardaient bien de dire : Elle est de moi, ou même de le penser seulement.

580. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

C’est l’enflure première dont les uns se guérissent, que les autres gardent et cultivent avec redoublement de bouffissure jusqu’à la fin. […] On lit dans son Journal à cette date : « Le poëte sans fortune est le plus malheureux des hommes : la courtisane ne livre que son corps, libre de garder au fond du cœur les sentiments qui lui restent ; l’autre, au contraire, doit, pour vivre, livrer ses soupirs, ses émotions, les pensées qui lui sont chères, et jusqu’aux plus secrètes profondeurs de son âme, et cela à un public libre de noircir le tout de la plus injurieuse critique ou du mépris le plus insultant. » — C’est le Journal d’où sont tirées ces paroles si senties, qu’il serait curieux de connaître : on nous le doit.

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