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352. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome III pp. 5-336

La muse qui l’avait imbu des plus magnanimes sentiments, lui avait inspiré la noble hardiesse de conspirer contre son hideux empereur, et l’on sait que c’est un art des Tigellins d’avilir les victimes de leurs maîtres avant que de les frapper. […] Un acte magnanime soit de piété, soit d’humanité, soit de vaillance, qui part d’un homme ignoré, peut faire le sujet d’une apologie en quelques vers, mais non d’un poème étendu qui frappe tous les peuples. […] « Oses-tu frapper l’arbre auquel j’unis mon sort ? […] « Ton bras, avant d’oser frapper l’arbre que j’aime, « De ce fer assassin me percera moi-même.” « Mais ses cris douloureux le conjurent en vain : « L’inexorable bras frappe le tronc.

353. (1826) Mélanges littéraires pp. 1-457

Ce tableau frappe d’abord, et l’impression en est durable. […] Le sort peut disposer d’un empire, changer un monde, élever ou précipiter un grand homme, mais il ne doit point frapper un oiseau. […] Les soupirs, les gémissements, les cris, frappent les airs, et ne sont point remarqués. […] C’était le rossignol, et non l’alouette, dont la voix a frappé ton oreille alarmée : il chante toute la nuit sur cet oranger lointain. […] L’auteur veut que l’imagination ne soit frappée que des rapports les moins abstraits.

354. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre septième »

Ce bienfait que la France devait à Louis XIV, Boileau en eut sa part comme Molière, avec cette différence qu’avant Louis XIV, et sans Louis XIV, Molière faisant jouer, dès 1659, les Précieuses ridicules, avait commencé l’œuvre de la satire et montré à Boileau où il avait à frapper. […] La chaire ne réussit à courber les têtes que quand déjà les événements, ou plutôt la main même de Dieu, par les événements qu’elle dirige, les a frappées. […] Un des premiers peut-être, Bossuet fut frappé de ce grand air du jeune roi, et il y prit la définition qu’il donne de la majesté, « laquelle n’est pas une certaine prestance, dit-il, qui est sur le visage du prince et sur tout son extérieur, mais un éclat plus pénétrant qui porte dans le fond des cœurs une crainte respectueuse260. » Il devina les grandeurs de son règne. […] Bossuet ne voit que ce que voyait tout le monde ; mais il le voit mieux, et il en est plus frappé. […] C’est sans doute à ce sermon que Mmede Sévigné fait allusion dans ce passage d’une lettre à sa fille : « Nous entendîmes, après dîner, le sermon du Bourdaloue, qui frappe toujours comme un sourd, disant des vérités à bride abattue, parlant à tort et à travers contre l’adultère ; sauve qui peut !

355. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre I. De l’action »

Sur la trame continue et illimitée des événements, notre attention fortement frappée découpe et détache quelque lambeau saillant ; elle néglige les fils par lesquels il se continue dans les voisins, et se concentre sur lui comme sur un monde à part. […] La Fontaine, pour mieux frapper les orgueilleux, lui donne un ton de protection insolente, et le jette aux pieds de celui que sa bienveillance voulait humilier. […] Au fond, et en somme, ce qui l’a frappé, c’est une idée, ou plutôt un sentiment de l’injustice ; de ce sentiment a découlé toute sa fable ; c’est ce sentiment qui a retranché le maladroit début du conteur indien ; c’est ce sentiment qui a choisi les personnages, approprié les discours, relié les détails, soutenu le ton, apporté les preuves, l’ordre, la colère et l’éloquence ; c’est ce sentiment qui a mis dans la fable l’unité avec l’art. […] Tout d’abord il est frappé du « portrait fidèle » par lequel commence le récit. […] La brusquerie, les interrogations pressées comme les coups d’une hache de guerre, la puissante voix tendue et grondante, la hardiesse qui prend corps à corps l’adversaire et le frappe en face, annoncent le barbare.

356. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIe entretien. L’Arioste (2e partie) » pp. 81-160

La petite Thérésina bâillait quelquefois de la cantilène monotone du professeur, qui lisait toujours ; la comtesse Léna avait des distractions en passant ses longs doigts dans les boucles cendrées de sa fille ; j’en avais moi-même en regardant plus complaisamment ces deux ravissantes figures de femmes que les fantômes du poème flottant dans la brume de l’âme sous mes yeux ; enfin le chanoine frappait de temps en temps du pied les dalles sonores de la grotte, comme un homme qui s’impatiente d’un entretien trop prolongé. […] Roger le foudroie en découvrant son écu magique, qui a la puissance d’éblouir et d’atterrer tout ce qui est frappé de son éclat ; profitant de l’éblouissement du monstre engourdi, Roger déchaîne Angélique, la fait monter en croupe sur l’hippogriffe, part à travers les airs et ne peut s’empêcher de se retourner souvent pour admirer trop amoureusement celle qu’il a sauvée. […] Zerbin le couche sur l’herbe, en attendant qu’il revienne étancher généreusement le sang de sa blessure ; il s’éloigne un moment pour punir le féroce soldat qui a frappé cet enfant. […] Le Sarrasin, trompé par l’assurance de la victime, tombe dans ce piége de vertu ; du revers de son épée il frappe le cou de la jeune fille, croyant que son épée se brisera dans sa main, mais la charmante tête d’Isabelle roule à ses pieds dans l’herbe et bondit trois fois en balbutiant encore le nom de Zerbin ! […] Demandez-le à Thérésina ; est-ce que vingt fois, pendant la lecture, au moment où les touchantes aventures de Ginevra, d’Angélique, de Médor, d’Isabelle, suspendaient sa respiration et faisaient nager ses yeux dans une rosée de larmes, elle n’a pas frappé du pied avec impatience le pavé de la grotte ou le plancher de la gondole en maudissant le poète ?

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