J’aurai assez d’occasions, chemin faisant, de marquer ce point sans l’annoncer à l’avance ; les lecteurs français sont d’eux-mêmes assez éveillés là-dessus. […] D’Alembert nous l’a peint au naturel et avec finesse dans un agréable éloge lu à l’Académie française en février 1775, et qui a fourni le premier fonds de toutes les biographies. […] Cette similitude du Français et de l’enfant, qui ne se bornait pas à un simple aperçu comme en ont les gens d’esprit, mais qui était l’idée favorite de l’abbé, revient continuellement dans ces notes de Rousseau : « Il était mal reçu des ministres et, sans vouloir s’apercevoir de leur mauvais accueil, il allait toujours à ses fins ; c’est alors surtout qu’il avait besoin de se souvenir qu’il parlait à des enfants très fiers de jouer avec de grandes poupées. » — « En s’adressant aux princes, il ne devait pas ignorer qu’il parlait à des enfants beaucoup plus enfants que les autres, et il ne laissait pas de leur parler raison, comme à des sages. » Rousseau, à qui tant de gens feront la leçon pour sa politique trop logique et ses théories toutes rationnelles, sent très bien le défaut de l’abbé de Saint-Pierre et insiste sur la plus frappante de ses inconséquences : « Les hommes, disait l’abbé, sont comme des enfants ; il faut leur répéter cent fois la même chose pour qu’ils la retiennent. » — « Mais, remarquait Rousseau, un enfant à qui on dit la même chose deux fois, bâille la seconde et n’écoute plus si on ne l’y force. […] L’abbé de Saint-Pierre l’oubliait ; il ne s’était jamais brouillé avec l’agrément et le charme, par la bonne raison qu’il ne les avait jamais connus ; il faut bien lâcher le mot, il était dans une impossibilité malheureuse, — malheureuse pour lui et surtout pour les autres —, de comprendre tout ce qu’enferme de triste et de fâcheux ce mot qui est mortel au public français l’ennui. […] Nommé à l’Académie française deux ans après La Bruyère lui-même, qui avait signalé son entrée par un si neuf et si éloquent discours de réception, il en fit un des plus ordinaires ; et, comme Fontenelle, à qui il le montrait en manuscrit, lui faisait remarquer que le style en était plat : « Tant mieux, dit l’abbé, il m’en ressemblera davantage ; et c’est assez pour un honnête homme de donner deux heures de sa vie à un discours pour l’Académie. » Il était homme à répondre comme un de nos contemporains à celui qui critiquait une de ses phrases : « Ah !
Ces Lundis sont une incohérente collection d’âmes individuelles : Sainte-Beuve ne s’emprisonne pas dans la littérature ; il suffit qu’un homme ou une femme ait écrit quelques lettres, quelques lignes, pour lui appartenir : le général Joubert aussi bien que Gœthe, et Marie Stuart avec Mlle de Scudéry ; généraux, ministres, gens de lettres et gens du monde, français, anglais, allemands, toutes sortes d’individus l’arrêtent ; il extrait de leurs accidents biographiques toutes les particularités psychologiques et physiologiques qui les définissent en leur unique caractère. L’admirable Port-Royal, où revit toute une partie de la société française du xviie siècle, où se dessine une des grandes forces qui aient agi sur la littérature de ce temps, ce Port-Royal est surtout un chef-d’œuvre de restitution psychologique. […] La tragédie française est ce que, dans notre race, devait donner la tradition antique à la cour de Louis XIV. […] Je comprends bien pourquoi il y a eu une tragédie française : mais pourquoi l’individu Corneille, pourquoi l’individu Racine ont-ils fait des tragédies ? […] Outre les ouvrages que je nomme ci-dessous, il a écrit son Voyage aux Pyrénées (1855), ses études sur les Philosophes français du xixe siècle (1855-56), sa Vie et opinions de Thomas Graindorge (1863-65), ses Notes sur l’Angleterre (1872).Éditions : Hachette, in-18 : De l’lntelligence, 2 vol ; Littérature anglaise, 5 vol. ; Philosophie de l’art, 2 vol. ; Essais de critique et d’histoire, 1 vol. ; Nouveaux Essais, 1 vol. ; Derniers Essais, recueil posthume, 1894, 1 vol. ; Origines de la France contemporaine, 7 vol. in-8 (Ancien Régime, 1 vol ; Révolution, 3 vol. ; Empire, 2 vol.)
— Comment il manque deux choses au Menteur pour être une date essentielle dans l’histoire du théâtre français. […] Et cela ne saurait faire à coup sûr que le Menteur ne soit une date importante et caractéristique dans l’histoire du théâtre français. […] Les prudes le font rire, d’un rire amer, un peu cynique parfois, « à la vieille française », philosophique aussi pourtant, le rire de Montaigne plutôt que de Rabelais. […] Il suffit, Messieurs, que vous ayez vu que la part de Le Sage est assez belle dans l’histoire du théâtre français pour nous obliger à nous poser deux questions encore. […] Quant à l’importance particulière de Rhadamiste et Zénobie dans l’histoire générale du théâtre français, j’espère que vous la voyez maintenant.
La noblesse française, toute portée qu’elle est à prendre aveuglément ses rois pour modèles, ne montra pas pour les lettres le même goût que François Ier. […] Quoi qu’il en soit, j’avoue qu’avec tout le cas que je fais de leur personne, j’en fais encore plus de leur nation, et que je suis aussi peu curieux d’un Anglais à Paris que je le serais d’un Français à Londres. […] Il faut avouer que la nation Française a bien de la peine à secouer le joug de la barbarie qu’elle a porté si longtemps. […] Le cardinal de Richelieu avait donné à l’Académie Française une forme très simple et très noble, mais aussi c’était le cardinal de Richelieu. […] Il n’imaginait pas qu’un jour certaines gens dussent être choqués de se voir dans l’Académie Française entre Despréaux et Racine, place dont Mécène se serait fait honneur et qu’il n’eût occupée qu’avec modestie.
Ô la belle Française ! la vraie Française. […] Ce fut une grande originalité à notre poète, de mettre des Français sur la scène. […] La tragédie, avant de se permettre des héros français, a attendu jusqu’à Voltaire. […] Il est Espagnol, il est Italien, il est même Français, mais si peu, mais si peu !