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661. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée par. M. le Chevalier Alfred d’Arneth »

Les lettres des deux princesses sont en français. […] Comme le livre n’est destiné qu’à ceux de sa nationalité qui lisent le français et qu’il s’adresse, en revanche, à tous les lecteurs français dont la majorité est loin de posséder l’allemand, il eût été de meilleure grâce à M. d’Arneth d’en faire une publication toute française. […] « J’aime dans cet instant les Français, s’écrie-t-elle ; que de ressources dans une nation qui sent si vivement !  […] Marie-Antoinette est la première à le sentir : « Il est bien vrai que les éloges et l’admiration pour le roi ont retenti partout ; il le mérite bien par la droiture de son âme et l’envie qu’il a de bien faire ; mais je suis inquiète de cet enthousiasme français pour la suite. […] Disons aussi que la modestie, — trop de modestie, — a pu faire craindre à M. d’Arneth de se hasarder dans une langue étrangère. — Pour que le lecteur français n’ignore rien des titres et des mérites du savant éditeur qui va acquérir une très-grande autorité dans le débat si vivement engagé sur l’authenticité des premières lettres de Marie-Antoinette, il est bon de savoir que M. 

662. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — I. » pp. 329-349

Ce trait distinctif lui est commun avec les hommes distingués qu’on a compris sous le nom de doctrinaires, et qui ont essayé, en leur temps, de donner une nouvelle façon, un nouveau pli à l’esprit français. […] Sa figure, en un mot, n’était pas française de type38. […] Le premier ouvrage qui appela sur lui avec éclat l’attention publique fut l’Éloge de Colbert, couronné par l’Académie française en 1773. […] C’est par la même raison, par l’effet d’un tact peu français, que M.  […] Necker moraliste qui me semble aujourd’hui à préférer à son Bonheur des sots, ou du moins qui est plus intéressant pour nous : c’est un Fragment sur les usages de la société française en 1786.

663. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — II. (Fin.) » pp. 350-370

L’Académie française, bien que M.  […] Chateaubriand ne traita pas de la sorte ceux qui riaient, il les attaqua ; il reprit l’offensive et parut dans la lice à la française, en combattant. […] Les ouvrages qu’il composa depuis à titre de spectateur, et qui ont pour objet la Révolution française observée dans les diverses phases de son développement, contiennent quantité de vues justes, élevées, ingénieuses, et les plus honorables désirs. […] Une seule réflexion se présentera, comme une conséquence presque littéraire : il serait singulier que l’homme qui a vu bien des choses d’une manière distinguée, mais si peu conforme au génie français, eût vu juste précisément sur le point le plus difficile de tous, sur la forme de gouvernement la mieux appropriée au génie de la France41. […] On peut dire que l’esprit français a fait insensiblement l’office d’un Voltaire universel, qui a eu raison, à la fin, du savant défaut dont il s’agit.

664. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Saint-Simon »

Peut-être seulement a-t-il trop fait une gaîté de cette pitoyable histoire du Fonctionnarisme français, toujours bête, important et despote ; car c’est là une tristesse et une honte pour un pays qui a la prétention de l’indépendance… Tel le reproche, le seul reproche que j’aie à risquer avec Edouard Drumont. […] Et il se trouve aussi que ces deux Mémoires sont à eux deux l’histoire la plus pénétrée et la plus profonde, en sa généralité, de la Monarchie française dans son institution et ses mœurs. Ni Boulainvillers, ni Dubost, ni Montesquieu lui-même, ni personne, n’a parlé de la monarchie française avec cette sûreté et cette clarté de connaissances qui donnent à ces deux pièces de procédure, à ces deux Mémoires d’occasion, l’éternelle solidité de l’Histoire. […] On lui accordait, il est vrai, le génie du plus grand peintre d’histoire qu’ait eu la langue française, mais on avait toujours méconnu en lui le génie politique qu’il avait pourtant au même degré, mais qui, avec les vices et l’esprit de son temps, était resté et devait rester sans emploi. […] Après Saint-Simon, il n’y a plus d’historiens pour la monarchie française, il n’y a plus que des ennemis.

665. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — II. (Fin.) » pp. 206-223

Ce fut le dernier grand succès littéraire du xviiie  siècle, au moment où la société française tout entière sortait de son lac heureux et, en quelque sorte, de sa Méditerranée paisible, et s’engageait dans les détroits inconnus d’où le Génie des temps nouveaux allait, d’une main puissante, la lancer sur l’Océan. […] Au xvie  siècle, au lendemain de la Renaissance et, dans l’ivresse qui la suivit, nos poètes français imitèrent les Grecs sans sobriété et sans goût ; ils manquèrent les grandes parties par l’excès de leur imitation même ; ils ne réussirent à bien rendre que les petits auteurs, les odes gracieuses, anacréontiques, quelques idylles tombées du trésor de l’Anthologie. […] Au xviie  siècle, la Grèce ne fut pas aussi bien comprise ni aussi fidèlement retracée qu’on se le figure : Boileau qui, à la rigueur, entendait Homère et Longin, est cependant bien plus latin que grec ; Racine, dans ses imitations de génie et en s’inspirant de son propre cœur, n’a reproduit des anciens chefs-d’œuvre tragiques que les beautés pathétiques et sentimentales, si l’on peut dire, et il les a voulu concilier aussitôt avec les élégances françaises. […] La conclusion à tirer pour moi de cette longue suite d’essais où l’on a été tour à tour dans les extrêmes et où l’on a si rarement atteint le point précis, c’est qu’on ne transporte pas une littérature dans une autre, ni le génie d’une race et d’une langue dans le génie d’un peuple différent ; que, pour bien connaître la Grèce et les Grecs, il faut beaucoup les lire et en très peu parler, si ce n’est avec ceux qui les lisent aussi, et que, pour en tirer quelque chose dans l’usage courant et moderne, le plus sûr encore est d’avoir du talent et de l’imagination en français. […] Le Voyage d’Anacharsis avait paru depuis quelques mois, et le succès allait aux nues : une place devint vacante à l’Académie française par la mort du grammairien Beauzée, et Barthélemy, choisi tout d’une voix pour lui succéder, fut reçu dans la séance publique de la Saint-Louis (août 1789).

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