Je me figurais au milieu d’une foule turbulente, grossièrement ambitieuse, et moi, au milieu, simple et timide ; et il fallait se mêler à cette tourbe. […] En vérité, mon cher, il faut qu’il m’arrive toujours des aventures uniques, et je me réjouirais de celle-ci, ne fût-ce que pour les singulières positions où elle m’a placé, lesquelles m’ont fourni l’occasion d’apprendre une foule de choses. […] Quelquefois, quand l’occasion m’engage dans ces foules indifférentes, qui remplissent nos rues, je me figure au milieu d’une forêt d’arbres qui marcheraient.
Que l’on transpose le spectacle humain en celui-ci : une troupe d’excellents automates, construits par quelque Edison pour le divertissement des spectateurs, descend des tréteaux sur la place publique et ces automates marchent comme des hommes, se mêlent aux assistants, tiennent aux femmes des propos lestes, exécutent mille facéties, enlevant à l’un son chapeau, à l’autre son mouchoir, à la grande joie de la foule indulgente. […] Or si l’on peut soutenir que de telles études n’ont actuellement pour quelques cerveaux d’autre intérêt qu’elles-mêmes et la curiosité pure qu’elles suscitent, on ne saurait oublier non plus que les applications auxquelles elles aboutissent dans le domaine de la médecine ou dans celui de l’industrie contribuent encore pour une forte part à leur progrès, en intéressant la foule, par l’espoir d’un profit, à des travaux dont elle eût détourné son attention. Cet intérêt de la foule, en déterminant des concours pécuniaires, on contraignant l’État à s’ingérer, mettent la science en possession de l’outillage dont elle a besoin.
Par exemple, la théorie d’une langue, celle du grec, suppose une foule de combinaisons abstraites fort au-dessus des connaissances métaphysiques que possédaient les écrivains, qui parlaient cependant cette langue avec tant de charme et de pureté ; mais le langage est l’instrument nécessaire pour acquérir tous les autres développements ; et, par une sorte de prodige, cet instrument existe, sans qu’à la même époque, aucun homme puisse atteindre, dans quelque autre sujet que ce soit, à la puissance d’abstraction qu’exige la composition d’une grammaire ; les auteurs grecs ne doivent point être considérés comme des penseurs aussi profonds que le ferait supposer la métaphysique de leur langue. […] La réflexion, la mélancolie, ces jouissances solitaires, ne conviennent point à la foule ; le sang s’anime, la vie s’exalte parmi les hommes rassemblés.
Il se rencontre à chaque moment comme une foule d’amorces qui nous font pénétrer dans la pensée inexprimée de l’auteur et poussent notre esprit dans une féconde recherche. […] Antoine connaît les dispositions de cette foule brutale et tumultueuse : il faut l’amadouer pour la dominer et la retourner.
La foule des hommes en s’éveillant, ne voit que ce qui frappe leur instinct grossier ; ils existent sans être émûs. […] Quelle foule d’Ecrivains sublimes & pauvres depuis Socrate jusqu’à Descartes, & depuis Homére jusqu’à Milton !