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379. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIe entretien. Épopée. Homère. — L’Iliade » pp. 65-160

Écoutez le poète peignant l’attroupement des rois et de l’armée à la voix de Nestor : « Tous les rois, porteurs de sceptre, se lèvent, obéissent au pasteur des peuples et accourent en foule avec les Grecs. […] Ménélas le provoque en vain ; Pâris, dont la beauté martiale déguise mal la lâcheté, s’enfuit et se perd dans la foule des Troyens. […] Tant que dure le matin et que s’élève l’astre sacré du jour, la foule jonche le sol ; mais, à l’heure où le bûcheron apprête son repas dans les clairières de la forêt, quand ses bras se sont fatigués à couper les grands arbres et que le besoin de prendre une salutaire nourriture se fait sentir, alors, etc. » Remarquez avec quelle complaisance habile et gracieuse à la fois Homère rappelle l’esprit détendu de l’horreur des combats aux plus sereines scènes de la vie rurale ! […] Leurs pieds foulent les cadavres et les boucliers, l’essieu tout entier est souillé de sang ; le sang tache aussi les anneaux d’airain qui tiennent au timon ; les gouttes sanguinolentes que font éclabousser les jantes des roues et les sabots des chevaux rejaillissent et se collent sur ces anneaux. » Ajax, le rival d’Achille en valeur, aperçoit Hector, en est épouvanté, recule et se perd dans la foule, n’osant se mesurer au fils de Priam. […] Ainsi s’élance la pensée de l’homme qui jadis a parcouru de nombreuses contrées ; il se les retrace dans son esprit avec une mémoire intelligente, se disant : J’étais ici, j’étais là, et se représentant une foule de souvenirs.

380. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

La foule accorde au savant ce qu’elle refuse au prêtre. […] Celui de de Maistre a une âme qui est le roi, des organes qui sont les grands, un instrument qui est l’homme armé, une matière qui est la foule. […] Si elle ne l’est pas, c’est que nos littérateurs ont formé comme un monde à part, factice, inintelligible à la foule. […] Ce n’est qu’au théâtre, parce que le théâtre s’adresse à la foule, que l’inspiration religieuse se retrouve, et mêlée à bien d’autres choses. […] Ils se paient de mots, comme une foule, et de mots qu’ils trouvent, comme des auteurs.

381. (1896) Le IIe livre des masques. Portraits symbolistes, gloses et documents sur les écrivains d’hier et d’aujourd’hui, les masques…

Mais c’est là une besogne crépusculaire ; on ne doit pas convier la foule aux exécutions. […] Est-il naturel qu’un homme supérieur soit toujours inquiété des mêmes inquiétudes que la foule ? […] Barrès, qui avait des raisons d’estimer hautement son moi et de le juger intachable, n’a pu transmettre ces raisons essentielles à la foule de ses imitateurs. […] Au théâtre, on s’adresse à la fois à un seul et à tous, à un homme et à une foule ; il faut être poète et tribun, artiste et logicien ; mettre en action une idée, mais que l’action se puisse comprendre au vu de son mouvement propre. […] La scène est shakespearienne, et même trop ; avec ses revirements de la foule dominée par une volonté, elle rappelle trop l’ironie de Jules César.

382. (1893) Thème à variations. Notes sur un art futur (L’Académie française) pp. 10-13

Ce motif dirige la grande foule des écrivains, — qui ne s’avisent de littérature que pour l’écriture : babillage excessif, où la niaiserie fuse avec élégance ; opinions pitoyables qui crèvent comme des bulles ; combinaisons de mots harmonieux ; sont babioles dont ils jouent — ces virtuoses ! 

383. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre II. Du Chant grégorien. »

Diverses raisons peuvent faire couler les larmes ; mais les larmes ont toujours une semblable amertume : d’ailleurs, il est rare qu’on pleure à la fois pour une foule de maux ; et quand les blessures sont multipliées, il y en a toujours une plus cuisante que les autres, qui finit par absorber les moindres peines.

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