/ 1717
14. (1853) Portraits littéraires. Tome II (3e éd.) pp. 59-300

Barbier ne partage pas l’avis de la foule, et nous croyons qu’il fait bien. […] Mais le succès, qui absout aux yeux de la foule, n’absout pas aux yeux de la réflexion. […] Il est si simple et si commode d’accepter une croyance toute faite, que la foule, et l’Académie, qui suit la foule, ajoutent volontiers foi à l’excellence politique de M.  […] En épousant le dédain aveugle de la foule, il n’avait plus le mérite de l’espièglerie. […] Or, le théâtre doit agir sur la foule.

15. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVI. Des oraisons funèbres et des éloges dans les premiers temps de la littérature française, depuis François Ier jusqu’à la fin du règne de Henri IV. »

Les éloges parurent en foule ; mais il y en eut un plus remarquable que les autres. […] La nature agitée et secouée, pour ainsi dire, dans tous les sens, déploie alors toute son énergie ; ses productions sont extraordinaires, elle fait naître en foule des monstres et des grands hommes. […] L’éloquence et le zèle ont produit une foule d’ouvrages qui lui sont tous consacrés, et où la sensibilité loue la vertu. […] Des princes du sang, une foule de gens de la cour, et tous les hommes les plus célèbres par leur esprit et leurs talents y assistèrent. […] La foule était si grande, que le cardinal de Bourbon ne put fendre la presse, et fut obligé de s’en retourner.

16. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1870 » pp. 3-176

Ce soir, sur les boulevards, la foule des jours mauvais, une foule agitée, houleuse, cherchant du désordre et des victimes, et d’où sort, à tout moment, le cri : « Arrêtez-le !  […] » — et aussitôt, des deux côtés de la voiture, la bousculade brutale de la foule qui veut voir. […] Une foule fait queue, demandant des laisser-passer. […] Je ne sais, pour moi, je suis reconnaissant à toute cette foule qui se presse là. […] Le froid est vif, mais la foule ne peut s’arracher à l’émotionnante vision.

17. (1898) Émile Zola devant les jeunes (articles de La Plume) pp. 106-203

Oui, Zola a eu raison, il y a des cannibales dans cette foule ; il y a surtout des imbéciles et des lâches, mûrs pour toutes les servitudes ! […] Dès que la foule ne comprend plus, elle rit. […] Ce fut une question de forme encore : la foule devant la magnifique épopée de Zola s’est émue pour le mot simplement. […] Si Zola a été lu par la foule, — il a été lu mal. […] Mais la foule demeurera toujours telle : un élément neutre, incompréhensif, ou bouillonneront les germes et s’élaboreront lentement les fruits.

18. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Le Comte Léon Tolstoï »

Cet ensemble de scènes, les plus importantes que nous avons citées, les moins notables qui forment la contexture même de l’œuvre, sont faites, non d’indications descriptives, de traits anecdotiques, de considérations exposées par l’auteur, en son nom personnel, mais des actes mêmes, des paroles et des manifestations de la foule des personnages dont on admire et la variété, et la vérité, et l’étonnante vie fictive. […] La foule des villes, l’élan silencieux et résolu des troupes à la veille d’une bataille, la psychologie des servants et des petits officiers d’une batterie vers le feu ou d’un régiment passé en revue se dessinent tout naturellement sous sa plume, comme l’atmosphère morale d’un comité administratif, d’un conciliabule de généraux, d’un salon diplomatique et mondain, les bavardages d’un cortège de prisonniers bu d’une chambrée d’enfants. […] Ces romans forcent impérieusement à aller aux personnages, à participer aux événements, à ce qu’on se sente touchant à toutes ces existences, et sans cesse comme aux côtés des héros, adjoint, perdu dans la foule qui les entoure, en témoin invisible de leur solitude et de leurs pensées. […] Nul comme cet auteur ne suscite sans cesse la sensation de la simple chaire humaine blanche, rose, rouge et molle, imbibée de sang, traversée d’os et de nerfs, arrondie en forme de membres gros ou menus, produisant cette notion presque animale de communauté, de tiède contact qui naît du milieu des foules, sur les champs de bataille, dans les hôpitaux, partout où les hommes sont prostrés ou amalgamés dans la perte de tout ce qui les érige en individualités distinctes. […] Le sentiment d’aise est profond à lire cette merveilleuse idylle de joie, de grâce, de gaieté, d’opulence, de bonté vraie où passent en leur vieillesse bonasse les deux parents entourés des mines espiègles, tendres et fines des petites-filles, de l’enthousiaste petite personne de Petia, au milieu de la foule des hôtes et des clients, entre les servantes, l’intendant, les valets et les veneurs.

/ 1717