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190. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome III

Quel est, je ne dis pas le grand homme, mais l’homme de bon sens, qui, sans nécessité et par un pur raffinement de vengeance, expose sa fortune à une chance plus incertaine que celle de la loterie ou d’un coup de dés ? […] Qu’y a-t-il de plus contraire à l’ordre social, que la fortune des gens qui en sont indignes ? […] C’est alors qu’on lui révèle le complot formé pour le déterminer à marier sa sœur, dont il a toute la fortune entre les mains, dans l’espoir d’écarter, par ce mariage, les galants qui faisaient la cour à sa femme. […] On lui entend dire avec plaisir : Je suis toujours fâchée de voir des hommes de mérite sans fortune, tandis que tant de gens qui n’en méritent point en ont une éclatante. […] Trompés l’un et l’autre par ce double déguisement, ils s’aiment sans le vouloir ; ils gémissent sur la bizarrerie du sort, qui met le mérite d’un côté et la fortune de l’autre.

191. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (2e partie) » pp. 417-487

Le père de famille veut ainsi conserver, malgré la loi, la souveraineté naturelle en l’exerçant encore après lui ; il veut perpétuer, autant qu’il est en lui, sa famille et son nom, en laissant dans les mains d’un chef de maison la maison, le domaine, la richesse relative de la royauté domestique, qui constate la suprématie de la famille dans la contrée, au lieu de distribuer entre un grand nombre des parcelles de fortune que la moindre catastrophe dissipe en poussière en tant de mains. […] Le peuple aime ainsi à concentrer la fortune de la famille dans une seule branche, plus solide, plus durable, qui sert à relever celles qui fléchissent, à donner asile et secours aux autres enfants quand les vicissitudes de la vie viennent à les réduire à la misère et à la honte. […] Une famille ruinée par les fautes ou par les malheurs d’une seule génération est une famille perdue pour l’État ; en perdant sa fortune stable dans une contrée, elle perd ses influences, ses patronages, ses clientèles, ses exemples, son autorité morale et politique dans le pays. […] Les opinions flottent comme les mœurs ; la rotation sans limite de la fortune et des familles empêche toute autorité morale de s’établir ; la roue de la fortune, en tournant si vite, précipite tout dans un égoïsme funeste à l’ensemble ; le peuple même n’a plus ni protection, ni centre, ni représentants puissants dans le pays, pour défendre ses droits, ses instincts, ses libertés. […] Serait-ce une société que cette répartition incessante et violente des rangs, des biens, des fortunes, enlevant toute sécurité au présent, tout avenir à la possession, tout mobile au travail, toute solidité à l’établissement des familles, des nations, même des individus ?

192. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VII. La littérature et les conditions économiques » pp. 157-190

Transportons-nous au temps où Louis XIV vieilli survit à sa grandeur et à sa fortune. […] La Bourse, avec ses fortunes si vite élevées et plus vite écroulées, est devenue un thème de satire pour les moralistes, les romanciers, les auteurs dramatiques. […] Autant que la classe d’où sortent les auteurs, il importe de noter leur degré de fortune. […] Comment les écrivains, qui ont toute leur fortune dans leur tête, n’auraient-ils pas bénéficié de l’expansion des idées démocratiques ? […] Il n’est pas étonnant qu’après cela les fortunes faites par les écrivains renommés aient dépassé ce qu’auraient rêvé les plus ambitieux d’argent parmi leurs devanciers.

193. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Appendice aux articles sur Roederer. (Voir page 393.) » pp. 533-543

Pour se faire honneur, pour faire son chemin, sa fortune ; eh bien ! […] Mais, pour jouir de tout cela, il faut éviter les dangers inutiles, et les dangers sans gloire ; car, après tout, pourquoi veut-on se faire honneur, faire son chemin, sa fortune ? […] on a joui du plaisir de se le faire ; quand on a fait sa fortune, on est sûr que sa femme, que ses enfants ne manqueront de rien ; tout cela, c’est assez.

194. (1761) Apologie de l’étude

Mais la même Providence, qui semble avoir attaché le bonheur à la médiocrité du rang et de la fortune, semble aussi l’avoir attaché de même à la médiocrité des talents, apparemment pour nous guérir de l’ambition en tout genre. […] Comme ils jouissent à leur aise, en fait de réputation, d’une fortune bornée, mais très suffisante pour eux, et que personne ne leur dispute, ils se piquent, entre autres qualités, d’un grand zèle patriotique pour la littérature ; car le patriotisme dans les âmes vulgaires (je ne dis pas dans les grandes âmes) n’est guère que le sentiment de son bien-être, et la crainte de le voir troubler. […] Dans le premier cas on est payé par ses propres mains, dans le second on ne peut l’être que par les mains des autres ; d’un côté plus d’éclat, mais plus de danger ; de l’autre une fortune moins brillante, mais plus sûre ; prenez votre parti, et choisissez.

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