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528. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier. »

Deux ou trois pièces à peine, le Cauchemar, la Tête de mort, présagent le besoin de sensations plus fortes : elles viendront assez tôt. […] Les Jeunes France, publiés en 1833 et au fort de la seconde fièvre romantique, sont comme un album des modes, costumes et travestissements de ce temps-là. […] « il était voltairien en diable, de même que monsieur son père, l’homme établi, le sergent, rélecteur, le propriétaire ; il avait lu en cachette au collège la Pucelle et la Guerre des Dieux, les Ruines de Volney et autres livres semblables : et c’est pourquoi il était esprit fort comme M. de Jouy et prêtrophobe comme M.  […] je ne sais pas à quoi il ne croyait pas, tout esprit fort qu’il était : il est vrai qu’il ne croyait pas en Dieu ; mais, en revanche, il croyait en Jupiter, en M.  […] Nous avons besoin en France que certaines liqueurs nous arrivent ainsi transvasées ; sans quoi, elles sont trop fortes et font éclater le flacon.

529. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits du comte Joseph de Maistre. (1851, 2 vol. in-8º.) » pp. 192-216

J’aurais été fort embarrassé, je l’avoue, si j’avais eu à parler, il y a quelques années, du comte Joseph de Maistre dans Le Constitutionnel ou dans tout autre journal de l’opinion dite libérale. On avait fait à cet écrivain une réputation toute particulière d’absolutisme ; on le jugeait sur une page mal lue d’un de ses écrits, et on ne l’appelait que le panégyriste du bourreau, parce qu’il avait soutenu que les sociétés qui veulent se maintenir fortes ne peuvent le faire qu’au moyen de lois fortes. […] Mais si, pour l’obtenir, la Sardaigne se fie aux cours étrangères et aux grandes puissances à l’heure de la signature des traités, elle se trompe fort. […] Dans la polémique, fort de sa conscience et de la droiture de ses intentions, il passe les bornes, et il s’en doute un peu, comme lorsqu’il dit, par exemple, à propos de sa réfutation de Bacon : « Je ne sais comment je me suis trouvé conduit à lutter mortellement avec le feu chancelier Bacon. Nous avons boxé comme deux forts de Fleet Street, et, s’il m’a arraché quelques cheveux, je pense bien aussi que sa perruque n’est plus à sa place. » Mais aucun fiel du moins ne se mêlait chez M. de Maistre à ces polémiques, en apparence si ardentes et si passionnées.

530. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le comte-pacha de Bonneval. » pp. 499-522

Il tenait du duc d’Orléans, futur régent, du marquis de La Fare, de Chaulieu et des habitués du Temple, du grand prieur de Vendôme chez qui, plus tard, Voltaire jeune le rencontrera au passage : il lui suffisait, en tout état de cause, de rester digne de ce qu’il appelait la société des honnêtes gens, mais ce mot commençait à devenir bien vague ; et Saint-Simon, plus sévère et qui pressait de plus près les choses, disait de lui : « C’était un cadet de fort bonne maison, avec beaucoup de talents pour la guerre, et beaucoup d’esprit fort orné de lecture, bien disant, éloquent, avec du tour et de la grâce, fort gueux, fort dépensier, extrêmement débauché (je supprime encore quelques autres qualifications) et fort pillard. » Ce qui s’entrevoit très bien dans le peu qu’on sait du rôle du chevalier de Bonneval dans ces guerres d’Italie, c’est qu’il n’était pas seulement né soldat, mais général : il avait des inspirations sur le terrain, des plans de campagne sous la tente, de ces manières de voir qui tirent un homme du pair, et le prince Eugène dans les rangs opposés l’avait remarqué avec estime. […] Traduit devant un conseil de guerre, sur la plainte du prince Eugène, il subit un an de détention dans un château fort ; après quoi il se rendit à Venise, ville pour lui fatale par sa première désertion. […] Cette explication d’une âme virginale et passionnée est fort ingénieuse et d’une grande délicatesse.

531. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — II. (Suite.) » pp. 220-241

Tant qu’il n’a qu’un homme en face de lui, il se sent fort : Je me suis bien étudié, écrivait-il à son ami Gudin, tout le temps qu’a duré l’acte tragique du bois de Neustadt. […] L’œuvre dramatique de Beaumarchais se compose uniquement de deux pièces, Le Barbier et Le Mariage de Figaro ; le reste est si fort au-dessous de lui qu’il n’en faudrait même point parler pour son honneur. […] C’est une de plus que pour Scudéry… La première représentation a été fort tumultueuse, comme on peut se l’imaginer, et si extraordinairement longue, qu’on n’est sorti du spectacle qu’à dix heures, quoiqu’il n’y eût pas de petite pièce ; car la comédie de Beaumarchais, remplit le spectacle entier, ce qui est même une sorte de nouveauté de plus. […] C’est une de plus que pour Scudéry… La première représentation a été fort tumultueuse, comme on peut se l’imaginer, et si extraordinairement longue, qu’on n’est sorti du spectacle qu’à dix heures, quoiqu’il n’y eût pas de petite pièce ; car la comédie de Beaumarchais, remplit le spectacle entier, ce qui est même une sorte de nouveauté de plus. […] Mais bientôt, si l’on remontait à la source, on s’apercevait que la lettre n’était point adressée à un duc et pair, et Beaumarchais en convenait lui-même, ce qui rabattait fort de la hardiesse et de l’insolence ; elle était tout simplement adressée au président Dupaty, ami de l’auteur, et écrite « dans le premier feu d’un léger mécontentement ».

532. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Rollin. » pp. 261-282

Il fit de brillantes études au collège du Plessis, où il eut pour maître, dans les classes supérieures, un homme qu’il a fort loué et à qui il a fait un nom, M.  […] Rollin n’est pas dénué de finesse et d’esprit quand il parle en son nom ; mais il faut chercher ces rares endroits où son expression s’anime et s’évertue d’elle-même Après avoir cité quelques passages des Éloges de Fontenelle et les avoir loués, il y remarque un défaut : S’il était permis, dit-il, de chercher quelque tache parmi tant de beautés, on pourrait peut-être en soupçonner quelqu’une dans un certain tour de pensées un peu trop uniforme, quoique les pensées soient fort diversifiées, qui termine la plupart des articles par un trait court et vif en forme de sentence, et qui semble avoir ordre de s’emparer de la fin des périodes comme d’un poste qui lui appartient à l’exclusion de tout autre. […] Parmi les études qu’il conseille non pas dans son Traité, mais dans les lettres qu’il écrivait à ceux qui le consultaient, Rollin, si timide à tant d’égards, n’excluait pourtant ni la physique, ni les arts, ni l’agriculture : Je désire fort, par exemple, disait-il, qu’on apprenne aux enfants mille choses curieuses pour la nature et pour les arts, ce qui regarde les métaux, les minéraux, les plantes, les arbres, les fourmis, les abeilles, etc. […] Un homme sincèrement modeste et humble peut être très habile sur certains points, très courageux de résistance sur de certains autres, mais il y a fort à penser qu’il est incapable d’une certaine initiative, d’un esprit d’entreprise ou de poursuite, d’un essor complet et libre de ses facultés ; et c’est parce qu’il se sent instinctivement inférieur à un tel rôle et à une telle responsabilité, qu’il est si craintif et si rougissant de se produire, si en peine lorsqu’il s’est trop avancé. […] Guéneau de Mussy, en terminant une Vie de Rollin, a peint cette jeunesse qui succédait, et il a trouvé des accents où l’on reconnaît l’ami de Bonald en même temps que celui de Fontanes et de Chateaubriand : Où sont, s’écriait-il avec gémissement, où sont les éducations sévères qui préparaient des âmes fortes et tendres ?

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