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1003. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Boileau. » pp. 494-513

Depuis vingt-cinq ans, le point de vue en ce qui regarde Boileau a fort changé. […] Boileau ne fait semblant d’être si fort dans l’embarras que pour demander malignement pardon aux gens en leur marchant sur le pied. […] Dans la satire et dans l’épître, du moment qu’il ne s’agit point en particulier des ouvrages de l’esprit, Boileau est fort inférieur à Horace et à Pope ; il l’est incomparablement à Molière et à La Fontaine ; ce n’est qu’un moraliste ordinaire, honnête homme et sensé, qui se relève par le détail et par les portraits qu’il introduit. […] Cependant, comme on parlait fort du dégât des ours, quantité de gens allèrent dans l’appartement voir tout ce désordre. […] Saluons et reconnaissons aujourd’hui la noble et forte harmonie du Grand Siècle.

1004. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Marguerite, reine de Navarre. Ses Nouvelles publiées par M. Le Roux de Lincy, 1853. » pp. 434-454

La reine de Navarre, sœur de François Ier, a fort occupé depuis quelques années les littérateurs et les érudits. […] Brantôme nous la représente comme « une princesse de très grand esprit et fort habile tant de son naturel que de son acquisitif ». […] La petite Margot me ressemble, qui ne veut être malade ; mais ici, m’a-t-on assurée qu’elle a fort bonne grâce et devient plus belle que n’a été Mlle d’Angoulême. […] Et pour ce que les ouvriers dirent qu’ils ne sauraient avoir fait le pont de dix ou douze jours, la compagnie, tant d’hommes que de femmes, commença fort à s’ennuyer… Il s’agit donc d’employer ces dix ou douze jours à quelque occupation « plaisante et vertueuse », et l’on s’adresse pour cela à une dame Oisille, la plus ancienne de la compagnie. Cette dame Oisille répond de la manière la plus édifiante : Mes enfants, vous me demandez une chose que je trouve fort difficile, de vous enseigner un passe-temps qui vous puisse délivrer de vos ennuis ; car, ayant cherché le remède toute ma vie, n’en ai jamais trouvé qu’un, qui est la lecture des Saintes Lettres, en laquelle se trouve la vraie et parfaite joie de l’esprit, dont procède le repos et la santé du corps.

1005. (1897) Préface sur le vers libre (Premiers poèmes) pp. 3-38

Anatole France a dit quelque part (en substance) que les poètes trouvaient leurs rythmes, et se forgeaient leur langue, assez inconsciemment, et qu’ils étaient disgracieux, s’essoufflant à démonter les rouages de leur strophe ; c’est fort possible, et il faut émettre en principe qu’on fait d’abord ses vers, et qu’on s’en précise ensuite la rythmique. […] Vielé-Griffin, après avoir hésité, semble-t-il, s’élança joyeusement au plus fort de la bataille. […] Son historique de la question est d’ailleurs exact, et il a vu la différence entre le vers libéré, verlainien, et le vers libre fort nettement, s’il s’est un peu borné en sa nomenclature des poètes participant au premier de ses mouvements, assez parents tous deux pour que le groupe symboliste avec ses aînés admirés et tels prosateurs fût suffisamment uni quelque temps par une similitude momentanée de vues ; les idées d’affranchissement et de complexité plus grande prêtant le terrain commun. […] Les gardiens du constitué sont d’accord sur toute la ligne ; les Académies de poésie, de musique, de danse et de morale et tous les octrois de la muraille de Chine mobilisent toutes leurs forces, et si l’on se demande plus tard comment l’union hétérogène du symbolisme put durer quelques années, forte, nous l’avons dit, de poètes dissemblables, de romanciers comme Adam, fréquentée de peintres comme Seurat, c’est que toutes les idées nouvelles se solidarisent en raison de l’identique et solidarisée résistance. […] Qu’on veuille bien remarquer que, sauf le cas d’élision, cet élément, l’e muet, ne disparaît jamais même à la fin du vers ; on l’entend fort peu, mais on l’entend.

1006. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « J. de Maistre » pp. 81-108

L’intérêt premier qu’ils nous offrent n’est pas leur valeur littéraire, fort grande pourtant, et sur laquelle je vais revenir. […] Te faire obéir par les générations futures et créer des coutumes vénérables, ces préjugés conservateurs, pères des lois et plus forts que les lois ? […] De Maistre est lui-même l’unité qu’il voyait partout, dans tout ce qui doit être grand et fort. […] IV On lira donc ce volume attardé après les chefs-d’œuvre des Soirées de Saint-Pétersbourg, du Pape, de l’Examen de la philosophie de Bacon, des Considérations sur la France, et on n’éprouvera nullement l’affadissement que causent les livres faibles après les livres forts. […] Ce n’est pas un livre organisé, mais c’est comme le chantier des idées mises depuis en œuvre par un homme qui va de pair avec les plus forts.

1007. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Brizeux. Œuvres Complètes »

qu’à applaudir à cette faveur d’une tombe dans la patrie, faite à un poète qui fut national et qui était assez pauvre pour rester exilé, après sa vie, à la place où il était mort… Avec la grâce franche, qui décore le don même qu’elle fait, le Ministre de l’instruction publique, qui est le Ministre des Lettres, a regretté de ne pas avoir à offrir à la famille de Brizeux une somme plus forte que celle qu’il a déposée sur son cercueil. […] La Sérénité, cette idéale qualité de la pensée forte, n’appartient ni aux âmes de ces temps troublés ni à leurs orageuses littératures. […] c’est au Breton que la Critique s’adresse aujourd’hui pour lui demander compte du poète, pour lui reprocher de ne pas l’avoir fait plus fort et plus grand. […] Partout il pleure la vieille Bretagne et ses coutumes originales et fortes, et, tout en pleurant, ce singulier affligé, dont l’affliction la plus grande est encore l’inconséquence, abolit en lui, librement et volontairement, ces originalités savoureuses qui auraient donné à son talent la trempe vibrante et l’énergie que naturellement il n’avait pas. […] Mais, en ce cas là, Chatterton, qui s’est fait moine au xiie  siècle, et non pas une moitié de moine, serait un peu plus fort que lui !

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