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1102. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Bernardin de Saint-Pierre »

Mais les idées de goût qu’on se formait alors allaient à faire envisager comme sauvage et barbare tout ce qui, en pittoresque, était l’opposé de la culture savante et régulière de Versailles. […] Quoique l’auteur s’excuse presque d’avoir oublié sa langue durant dix années de voyages et d’absence, le style est déjà tout formé, et l’on y retrouve plus d’une esquisse gracieuse et pure de ce qui est devenu plus tard un tableau. […] Bernardin n’a pas non plus médiocrement agi sur d’autres écrivains formés vers cette fin du siècle, et moins connus comme peintres qu’ils ne mériteraient, sur Ramond, sur Sénancour.

1103. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (2e partie) » pp. 417-487

La mère et le père vieillis et infirmes par l’usure du temps, devenus incapables de se nourrir et de se protéger eux-mêmes, que deviendraient-ils si les enfants, dénués, comme ceux que suppose Rousseau, de tout spiritualisme, de toute reconnaissance, de toute piété filiale, cessaient de former avec les auteurs de leurs jours la sublime et douce société de la famille ? […] Il faudrait des volumes pour énumérer toutes les choses physiques et morales qui forment l’inventaire des propriétés physiques et morales nécessaires à la vie de l’humanité ; ce sont ces choses qui ont fait de l’homme, en comparaison des autres êtres qui ne possèdent que ce qu’ils dérobent, le premier des êtres, l’être propriétaire, le plus beau nom de l’homme ! […] Ces liens de respect, de traditions, de déférence, établis entre les riches et les pauvres d’une contrée rurale, se brisent ; la reconnaissance, la considération, l’affection séculaire, qui forment le ciment moral de la société, se pulvérisent et s’évanouissent sans cesse ; tout devient en peu d’années poussière, dans une contrée aussi dénuée d’antiquité, de fixité.

1104. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIIe entretien. Revue littéraire de l’année 1861 en France. M. de Marcellus (1re partie) » pp. 333-411

Rions-en comme lui, il y a retrouvé la société de ces morts illustres avec lesquels il a tant désiré converser dans leur langue : les Homère, les Phidias, les artistes et les poètes grecs ses amis ; les Théocrite, les Pline, les Cicéron, les amateurs de l’esprit humain qui forment l’immortelle académie de tous les âges, et qui l’ont reconnu à la pureté de l’accent pour un des leurs ! […] J’avançai peu à peu vers la montagne, au milieu des beaux jardins et des ruisseaux qui entourent la ville ; puis, traversant des collines arides formées d’une couche de roche blanchâtre, je me trouvai au pied des premières chaînes du Liban. […] J’entrevis l’espérance de les avoir en ma possession ; je fis entendre au pacha qu’Ali-Bey s’occupait uniquement d’astronomie ; qu’il allait à la Mecque par ordre de son roi, pour y mesurer le soleil, qu’il savait bien y être plus grand qu’ailleurs (c’est une croyance de l’islamisme) ; que ce qu’il laissait après lui formait l’héritage de son fils Osman-Bey, qui habitait le royaume de Fez ; et qu’enfin, pour profiter des écrits de ce savant, il fallait traduire ses observations en arabe : j’offris de me charger de ce travail ; mes motifs allaient être goûtés, je m’en flattais du moins, quand le pacha fut destitué.

1105. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (2e partie) » pp. 365-432

Un nuage fut formé pendant quinze cents ans ; au bout de quinze siècles il a crevé. […] Hugo en parlant du terrorisme : un nuage formé par quinze siècles, d’où sort un coup de tonnerre ; le coup de tonnerre qui ne doit pas se tromper, est une définition explicative, selon moi, mais nullement justificative, encore moins laudative : car le coup de tonnerre du terrorisme s’est dix mille fois trompé ; il a fait de la lueur, mais il a fait des cadavres, des victimes innombrables, pures, innocentes, augustes ; il a laissé dans toutes les âmes quelque chose de sinistre, pareil à une horreur chez les uns, à un remords chez les autres ; des noms abhorrés chez les bourreaux, des noms consacrés chez les victimes. […] N’est-ce pas lui préparer pour l’avenir des justifications toutes faites pour d’autres crimes, que de lui dire d’avance : « Ne t’inquiète pas, Dieu est pour toi ; tu as tes raisons, tu as le droit de colère ; les consciences faibles, les esprits timides, la pitié même, autant que la justice, se soulèveront bêtement contre toi, incapables qu’ils sont de comprendre ta foudroyante divinité, ton coup de tonnerre formé des misères de tous les âges !

1106. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre troisième »

Il y eut en ce temps-là, sinon un homme de génie, du moins un esprit heureux qui a tracé quelques ébauches de caractères finement observés, et, comme il arrive, trouvé une langue toute formée pour exprimer ces premiers traits de la vérité dramatique. […] Comment faire que ce devoir soit assez fort pour balancer la passion, où tout est si naturel, et qui s’est formée de convenances si invincibles, la jeunesse, la gloire, la beauté ? […] Mais il n’y a pas d’exemple, dans un auteur sans génie, d’une pièce où le nœud soit formé des rapports nécessaires qui lient un caractère à une situation.

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