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975. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Histoire des Pyrénées »

Que si, au contraire, l’oubli a eu raison de s’étendre sur les plateaux pyrénéens, si ces peuplades intermédiaires — Catalans, Aragonais, Navarrais, Béarnais et Basques, — ne sont placées aux frontières de France et d’Espagne que pour appointer des forces respectives et jeter dans la balance des intérêts de ces deux pays le poids de leurs atomes orageux ; si, enfin, toute cette paille d’hommes hachés par les événements et par la guerre n’est là — comme on pourrait le croire — que pour faire fumier aux grandes nations qui résument l’Europe, et par l’Europe le genre humain, à quoi bon remuer, avec un tel détail, ce monde de faits sans signification vive et profonde, et sous lesquels le lecteur périt accablé ? […] Nature particulière de climat, de production et de situation ; influence de ces agents physiques sur les habitants qui viennent successivement s’y fixer ; importance des révolutions intérieures qui agitèrent ces populations ; part immense qu’elles prirent aux événements qui se déroulèrent dans l’Espagne et dans les Gaules… » Et, plus loin, il ajoute encore : « Si les champs catalauniques furent, au temps d’Attila, selon la belle expression de Jornandès : l’aire où venaient se broyer les nations, les Pyrénées, au contraire, furent la retraite bienfaisante où les débris de ces mêmes nations abritèrent leurs pénates et leurs croyances… Lorsque le mouvement torrentiel des diverses races a fini de s’agiter à leur base, l’historien retrouve dans leurs vallées l’Ibère, le Gaulois et le Cantabre, avec leurs forces primitives, leurs fueros, leur farouche liberté. […] C’était elle surtout, et peut-être uniquement elle, dont il devait nous montrer le travail autour de la grande pyramide romaine, en nous expliquant ses alliances, sa loi salique, ses mariages, équivalant à ses conquêtes, et le secret de son immense force quand, de morcelée sur des espaces restreints, comme les plateaux pyrénéens, par exemple, elle se résolut en un ordre organique dans de plus vastes espaces ; sujet superbe, touché et manqué déjà par tant de mains auxquelles on prêtait du génie.

976. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Montmorency » pp. 199-214

Assurément, depuis Denise de Montmorency, qui sous Charles VI défendit si vaillamment le château de son mari contre les Anglais, jusqu’à cette vieille abbesse de Montmorency, qui mourut sur l’échafaud en 1794, après avoir béni, comme si elle avait été dans sa stalle de chœur et la crosse à la main, la religieuse qui portait sa croix et qui mourut après elle, on peut ranger bien des Montmorency, de nom ou d’alliance, qui eurent aussi, comme celle d’Amédée Renée, l’éclat dans la vie, la force de l’âme, le malheur, et le cloître pour dôme à tout cela, — le seul dôme qui aille bien à toutes nos poussières. […] Il est évidemment trop conçu en vue de la diminution de Richelieu, figure ambiguë — nous en convenons — dans sa grandeur et dans sa force. […] C’est là qu’elle apaisa son âme, qu’elle la modéra, comme le lui avait recommandé son époux ; c’est là qu’elle put trouver la force de pardonner au lâche et imbécile Gaston, à Louis XIII le Juste, et enfin, même, à Richelieu !

977. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Sévigné » pp. 243-257

Eh bien, c’est cette peine, ce labeur, cette conscience et cette perfection dans l’ennui, dans cet ennui que l’on tire de l’histoire la plus intéressante avec une force de plusieurs chevaux, qu’Hippolyte Babou n’a pas voulu prendre à sa charge ! […] Impatienté, je le conçois, de toutes les lectures qu’on nous force à remâcher sur le xviie  siècle et qui nous laissent parfaitement tranquilles, Babou s’est dit : « Sont-ils assez éteints ?  […] Il a eu de la force tout près de la grâce, et, ma foi !

978. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Le comte de Gobineau » pp. 67-82

C’est le tour de force du poète dramatique accompli ; et encore le poète, dans l’intérêt qu’il veut produire, idéalise autant qu’il le peut. […] Or, si les moyens de cette ambition, — qui furent les moyens employés par toutes les ambitions de l’époque que Gobineau a réfléchie dans sa glace historique, — si ces moyens furent répréhensibles, et le comte de Gobineau les montre tels, il faut se rappeler cependant que cette ambition voulait la force temporelle de l’Église, l’indépendance de l’Italie vis-à-vis des nations étrangères, l’abaissement des Maisons féodales, — qui a toujours fait la gloire de ceux-là qui les abaissèrent en vue de cette vérité politique (qui est la seule peut-être) ; l’unité du pouvoir, — l’écrasement enfin du Condottierisme, le fléau le plus épouvantable de cette époque. […] Ce qui distingue particulièrement son auteur, c’est l’encyclopédisme de ses connaissances et la force élastique de l’esprit qui s’en sert.

979. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Le roi Stanislas Poniatowski et Madame Geoffrin »

II Et pour cela il fallait une fière force ! […] À toute force, il ne veut pas que Madame Geoffrin sorte du cadre, étroit et superficiel, d’amitié sensée et de maternité placide dans lequel l’opinion a pris, à distance, l’habitude de la regarder. […] car elle témoigne de l’immortalité du cœur et de la force de la vie, et il n’est pas besoin, comme si c’était une honte, de s’en cacher.

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