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474. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VII. Les poëtes. » pp. 172-231

À voir ces mots si choisis, ces arrangements exquis de syllabes mélodieuses, cette science des coupes et des rejets, ce style si coulant, si pur, ces gracieuses images que la diction rendait encore plus gracieuses, et toute cette guirlande artificielle et nuancée de fleurs qui se disaient champêtres, on pensait aux premières églogues de Virgile. […] Remarquez les coups de grosse caisse, j’entends les grands moyens ; on appelle ainsi tout ce que dit un personnage qui veut délirer et ne délire pas ; par exemple, parler aux rocs et aux murailles, prier Abeilard absent de venir, s’imaginer qu’il est présent, apostropher la Grâce, la Vertu, « la fraîche Espérance, riante fille du ciel, et la Foi, notre immortalité anticipée1110 », entendre les morts qui lui parlent, dire aux anges de « préparer leurs bosquets de roses, leurs palmes célestes et leurs fleurs qui ne se flétrissent pas1111. » C’est ici la symphonie finale avec modulation de l’orgue céleste : je suppose qu’en l’écoutant Abeilard a crié bravo. […] Lady Wortley Montagu, qui dans son temps fut la fleur des pois, et que l’on compare à Mme de Sévigné, a l’esprit si sérieux, le style si décidé, le jugement si précis et le sarcasme si âpre, qu’on la prendrait pour un homme. […] Figurez-vous une jolie corbeille de salon, qui devrait ne renfermer que des fleurs et des broderies, et qu’on envoie à la cuisine pour en faire un panier d’ordures. […] et pourtant, par gageure sans doute, il a raconté dans la Boucle de cheveux une partie d’hombre ; on la suit, on l’entend, on reconnaît les costumes, « les quatre rois, majestés révérées, avec leurs favoris blancs et leurs barbes fourchues, les quatre belles dames dont les mains portent une fleur, emblème expressif de leur aimable puissance, les quatre valets en robes retroussées, troupe fidèle, une toque sur la tête, une hallebarde à la main, puis les quatre armées bigarrées, brillant cortége, rangées en bataille sur la plaine de velours vert1123. » On voit les atouts, les coupes, les levées, puis un instant après le café, la porcelaine, les cuillers, l’esprit de feu (entendez l’alcool) ; ce sont déjà les procédés et les périphrases de Delille.

475. (1893) Du sens religieux de la poésie pp. -104

Vous y sentirez ce souci presque exclusif de la pensée dans l’austérité d’un art qui se refuse les fleurs de charme et de grâce. […] Baudelaire dans Les Fleurs du Mal, aussi loin que possible l’un de l’autre, l’un plus pictural, l’autre plus musical, se rencontrent dans le souci d’une psychologie, lyrique et joyeuse chez celui-là, douloureuse jusqu’au tragique chez celui-ci. […] C’est là, certes, un progrès bien réel et qui entraîne des conséquences de sécurité sans lesquelles la désirable fleur de certitude ne saurait trouver l’atmosphère propice à son éclosion. […] Elle riait, toute épanouie dans son insouciance et sa beauté, et voilà que le divin passant l’arrête, la regarde, lui dit deux paroles et la courtisane jette ses fleurs, s’agenouille et pleure. […] Et quand viendra l’instant que j’ai tant convoité Mes vœux en fleur, épanouis comme un vertige De feu qui meurt et s’éblouit de sa clarté, Se rembelliront dans un suprême prodige De par la joie d’être à l’heure d’avoir été !

476. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. VILLEMAIN. » pp. 358-396

Il ne se sentait attiré avec charme que vers cette première fleur du beau siècle de l’éloquence. […] A propos du style de Montaigne qui, parlant avec image des abeilles et de leur miel composé de mille fleurs, ajoute : « Ce n’est plus ni thym ni marjolaine ; » le panégyriste s’écrie : « Voilà tout Montaigne !  […] Pour peu qu’on y pense, cette fleur gardée intacte n’est pas moins prodigieuse que la fermeté d’esprit d’un Cuvier écrivant de la science et de l’anatomie entre deux affaires. […] Patin, dans sa fleur de Grèce et de Fénelon, avec les procédés et les inspirations de Victorin Fabre, dernier élève sérieux de l’autre école121.

477. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE KRÜDNER » pp. 382-410

Je lisais l’autre jour, dans un recueil inédit de pensées : « La faculté poétique n’est autre chose que le don et l’art de produire chaque sentiment vrai, en fleur, selon sa mesure, depuis le lys royal et le dahlia jusqu’à la pâquerette. » Ce qui est dit là de la poésie, à proprement parler, peut s’appliquer à toute œuvre créée et composée, où l’idée du beau se réfléchit. […] Ainsi quand à Venise, au bal de la Villa-Pisani, Gustave, qui n’y est pas allé, passant auprès d’un pavillon, entend la musique, et, monté sur un grand vase de fleurs, atteint la fenêtre pour regarder ; quand il assiste du dehors à la merveilleuse danse du schall dansée par Valérie, et qu’à la fin, enivré et hors de lui, à l’aspect de Valérie qui s’approche de la fenêtre, il colle sa lèvre sur le carreau que touche en dedans le bras de celle qu’il aime, il lui semble respirer des torrents de feu ; mais, elle, n’a rien senti, rien aperçu. […] » Lorsque Gustave s’en est allé seul avec sa blessure dans les montagnes, quand, durant les mois d’automne qui précèdent sa mort, il s’enivre éperdument de sa rêverie et des brises sauvages, quand il devient presque René, comme il s’en distingue aussitôt et reste lui-même encore, par cette image gracieuse de l’amandier auquel il se compare, de l’amandier exilé au milieu d’une nature trop forte, et qui pourtant a donné des fleurs que le vent disperse au précipice ! […] Marmier, qui a écrit sur Mme de Krüdner un morceau senti204, a très-bien remarqué dans Valérie nombre de pensées déjà profondes et religieuses, qui font entrevoir la femme d’avenir sous le voile des premières élégances ; j’en veux citer aussi quelques traits qui sont des présages : « Son corps délicat est une fleur que le plus léger souffle fait incliner, et son âme forte et courageuse braverait la mort pour la vertu et pour l’amour. » « ….

478. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Quelques documents inédits sur André Chénier »

Les Analecta de Brunck, qui avaient paru en 1776, et qui contiennent toute la fleur grecque en ce qu’elle a d’exquis, de simple, même de mignard ou de sauvage, devinrent la lecture la plus habituelle d’André ; c’était son livre de chevet et son bréviaire. […] Alors il prend des fleurs et de jeunes rameaux, et les répand sur cette tombe en disant : Ô jeune infortunée… (quelque chose de tendre et d’antique) ; puis il remonte à cheval, et s’en va la tête penchée et mélancoliquement, il s’en va Pensant à son épouse et craignant de mourir. […] Apercevoir, deviner une fleur ou un fruit derrière la haie qu’on ne franchira pas, c’est là le train de la vie. […] Je trouve ces quatre beaux vers inédits sur Bacchus : C’est le Dieu de Nisa, c’est le vainqueur du Gange, Au visage de vierge, au front ceint de vendange, Qui dompte et fait courber sous son char gémissant Du Lynx aux cent couleurs le front obéissant… J’en joindrai quelques autres sans suite, et dans le gracieux hasard de l’atelier qu’ils encombrent et qu’ils décorent : Bacchus, Hymen, ces dieux toujours adolescents… Vous, du blond Anio Naïade au pied fluide ; Vous, filles du Zéphire et de la Nuit humide, Fleurs… Syrinx parle et respire aux lèvres du berger… Et le dormir suave au bord d’une fontaine… Et la blanche brebis de laine appesantie..

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