Ramené de Hollande en Saxe à la fin de 1708, M. de Schulenburg, le général de l’armée saxonne, lui signifie le 5 janvier 1708, de la part du roi, qu’on le destine au militaire, qu’il n’a qu’à aller remercier Sa Majesté, que son équipage est tout prêt et que le départ est pour le lendemain : « J’étais enchanté de toutes ces choses, surtout de n’avoir plus de gouverneur. […] Mais il est impossible que dans les dictées d’un homme de guerre d’une vocation aussi décidée il n’y ait pas de bonnes et fines remarques de détail (comme chez Montluc en son temps), des observations pratiques utiles au métier et d’autres qui touchent au moral de l’art et qui sont supérieures : Mes Rêveries en sont semées ; Napoléon, en les lisant, y a fait les deux parts10 ; et le comte Vitzthum a raison d’y signaler, à son tour, de bonnes et même de tout à fait belles pages : ainsi l’exposé de la bataille de Pultava, ainsi un curieux récit de l’affaire de Denain au point de vue du prince Eugène11 ; ainsi des réflexions sur la défaite de Malplaquet, sur la déroute de Ramillies ; de singulières anecdotes sur des paniques d’hommes et de chevaux même après la victoire gagnée, racontées à l’auteur par Villars ; mais surtout un admirable endroit sur l’idée du parfait général d’armée que le comte de Saxe avait vu à peu près réalisé en la personne du prince Eugène. […] Selon le nouvel historien, la victoire de Denain a été chose à peu près superflue ; la paix avec l’Angleterre, dit-il, était faite dès la fin de 1710 ; le reste n’était plus que de forme ; la France n’avait nullement besoin d’être sauvée.
Il dut y songer à deux fois et se recueillir pour accommoder et accorder ses propres pensées avec ce mode d’expression fin, éclatant et poli, dont l’idée si longtemps éclipsée était enfin retrouvée pour ne plus se perdre, et qui rayonnait avec diversité en vingt types immortels ; il fit, en présence des Grecs et des Latins, ce que les Latins avaient déjà fait en présence des Grecs : il choisit, il s’ingénia, il combina. […] Admirateur et adorateur pieux des vieux maîtres, dans un beau désespoir de les égaler et de les atteindre, on se serait dit volontiers avec ce docte allemand (Creutzer) : « Il ne nous reste, à nous autres modernes, qu’à les aimer. » On pouvait se dire encore avec Goethe : « Négliger ces vieux modèles, Eschyle, Homère, c’est mourir. » J’ai surtout en vue nos Français attiques du bon temps, non ceux que le xviiie siècle nous a livrés sur la fin, un peu gâtés ou fort affaiblis, mais ceux-ci mêmes, dont était Fontanes, et quand ils se maintenaient dans cette noble mesure de goût, avaient leur manière d’être et de sentir heureuse et rare. […] Aux Anciens l’invention, soit : ç’a été leur lot et leur gloire ; aux Modernes l’imitation, puisqu’il ne leur reste que cela, mais du moins une imitation fine et rare.
Quand il s’écrie à la fin de l’Isolement, dans la première des premières Méditations : Et moi je suis semblable à la feuille flétrie… Emportez-moi comme elle, orageux aquilons ! […] Lamartine est plus heureux que ces hommes, qui pourtant sont eux-mêmes de ceux qui espèrent ; il est plus complétement religieux qu’eux ; il croit aussi fermement aux fins générales de l’humanité, il croit en outre aux fins personnelles de chaque âme.
Revenons au Voyage : les divorces, querelles et raccommodements de l’âme et de l’autre fournissent à l’aimable humoriste une quantité de réflexions philosophiques aussi fines et aussi profondes34 que le fauteuil psychologique en a jamais pu inspirer dans tout son méthodique appareil aux analyseurs de profession. […] La Jeune Sibérienne est surtout délicieuse par le pathétique vrai, suivi, profond de source, modéré de ton, entremêlé d’une observation fine et doucement malicieuse de la nature humaine, que le sobre auteur discerne encore même à travers une larme. […] On prendrait plaisir et profit à plus d’un de ses jugements naïfs et fins.
Feuillet ait écrites : toute la première moitié d’un Mariage dans le monde, où sont démêlées très finement et avec un choix très sûr de détails les causes qui doivent finir par éloigner l’un de l’autre une jeune femme pour qui le mariage est un commencement et un homme fatigué pour qui le mariage est une fin ; la plus grande partie de la Veuve, où la série des sophismes et des séductions par où un homme d’honneur peut être amené à violer un serment, est très délicatement graduée ; et encore la seconde partie du roman de la Morte, qui nous fait assister aux lents progrès du malaise et de la désunion entre un mari incroyant et une femme très pieuse qui a entrepris de le ramener à Dieu. […] Mais c’est qu’on se lasse de tout, et qu’ils sont un peu trop « distingués » à la fin ! […] Je retrouve ce style poli, souple, bien tenu, presque toujours précis, non pas coloré, mais fleuri, et cette allure qui me fait songer à un cheval de race, long, aux jambes fines, avec de subits frémissements à fleur de peau.