Qu’on se figure, par exemple, à la place de Racine, au sein du même loisir, quelqu’un de ces génies incontestablement dramatiques, Shakspeare, Molière, Beaumarchais, Scott. […] toutes ces ravissantes figures, toutes ces apparitions enchantées souriront au poëte et l’appelleront à elles du sein de leur nuage. […] Mais, même en tenant compte de l’intention, on peut conclure hardiment, après avoir lu et comparé ces passages, que les sentiments du poëte ne prenaient plus la forme dramatique, et que la figure de la Champmeslé lui était depuis longtemps sortie de la mémoire. […] C’est une conversation douce et choisie, d’un charme croissant, une confidence pénétrante et pleine d’émotion, comme on se figure qu’en pouvait suggérer au poëte le commerce paisible de cette société où une femme écrivait la Princesse de Clèves ; c’est un sentiment intime, unique, expansif, qui se mêle à tout, s’insinue partout, qu’on retrouve dans chaque soupir, dans chaque larme, et qu’on respire avec l’air.
Le botaniste nous laisse considérer dans une plante les feuilles et les fleurs tout ensemble, les sinuosités de sa forme, les nuances de ses couleurs, la diversité des herbes qui l’environnent, la figure du sol où elle croît. […] Tout, dès lors, est varié, mobile, intéressant, animé ; chacun des mots qu’on touche en parcourant la fable soulève une foule de pensées incertaines et fugitives, comme chaque pierre qu’on déplace en suivant un chemin découvre une multitude d’êtres, de figures et de couleurs. […] Aucun sentiment ne pourra naître en lui à l’aspect de ces figures indistinctes et de ces actions si peu parlantes. […] Sa sottise ou sa grandeur, accumulée sur un seul point, se centuple ; la figure la plus vulgaire devient expressive, et intéresse, parce que l’esprit y aperçoit toute une vie en raccourci.
Quelque chose de la gloire sanglante des armées de Napoléon se reflétait sur cette belle figure. […] Il jouissait d’être l’objet de la contemplation envieuse de tous ceux à qui ces magnificences et sa belle figure le faisaient reconnaître ; il tenait le sceptre de l’ostentation. […] Ses cheveux, d’un blond tendre, ont gardé les inflexions du premier âge autour d’un front de vingt-cinq ans ; ils jettent une ombre légère et mobile sur sa figure. […] Je me figure l’entendre autant que le revoir.
Les figures les plus populaires du théâtre ou du roman ne sont pas nécessairement les plus profondes, les plus étudiées ni celles qui résument le plus d’observations. (Et je pourrais ajouter que les figures les plus populaires ont été souvent créées par des esprits fort médiocres : tels Robert Macaire ou Joseph Prudhomme.) — Alphonse Daudet a conçu et fait vivre vingt personnages d’une vérité plus rare que Tartarin, d’une observation plus difficile, plus aiguë, plus curieuse ; et peut-être est-ce du seul Tartarin que les siècles se souviendront. […] Seulement l’acteur qui le jouera fera bien de se souvenir, après tout, de la figure qu’a pu prendre Tartuffe dans l’imagination de Dorine : par où il sera conduit à nous mettre sous les yeux un personnage intermédiaire entre le Julien Sorel que nous a montré M. […] Celui-ci, du moins, n’aura pas été entièrement vain, puisque, ayant retourné Tartuffe dans tous les sens, me voilà, finalement, plus assuré de la vérité et de l’unité secrète de cette illustre figure.
Seulement on lui donnait quelquefois la figure d’un papillon qui s’échappe de la bouche d’un mourant, pour exprimer son excessive légèreté, et non pour assigner sa véritable forme, qui n’était pas déterminée. Mais l’ombre différait de l’âme, en ce qu’elle retenait la figure et l’apparence du corps. […] L’antiquité pensait que l’ombre était d’abord façonnée sous la figure humaine ; que cette créature légère errait longtemps sur les bords du Léthé, avec les traits et le costume du personnage qu’elle devait un jour habiter ; et qu’elle cachait l’âme ou le souffle de vie dans sa substance. […] On pourrait conclure de là que l’âme avait deux enveloppes : cachée d’abord dans l’ombre qui avait la figure humaine, elle formait un homme intérieur, sur qui se moulait l’homme extérieur, c’est-à-dire le corps.