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319. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « A. Dumas. La Question du Divorce » pp. 377-390

Cette affreuse question du divorce, qui a pour solution de violer la famille par la démocratie et de laisser la démocratie dans le ventre qu’elle a violé ; cette question révolutionnaire, qui est toujours opiniâtrement revenue aux jours les plus néfastes, — les lendemains des jours où la démocratie avait gagné une bataille de plus ; — cette question révolutionnaire n’est peut-être pas le dernier mot de la démocratie, mais c’est, à coup sûr, l’avant-dernier ; car, après la famille, qu’y aura-t-il à démocratiser encore ? […] Dumas, — parce que la famille légale étouffe l’homme, tandis que la propriété matérielle l’éblouit et que la liberté illimitée l’enivre. » J’en… j’entends fort bien, comme dit Brid’oison : il ne faut pas que sous aucun prétexte l’homme soit étouffé, et il faut que, enivré, il puisse boire encore et toujours !

320. (1914) En lisant Molière. L’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

Molière y entre dans sa grande manière qui consiste, autour du personnage principal, à peindre toute une famille et à montrer cette famille désorganisée par le vice du personnage principal. […] Seulement, ici, le chef de famille c’est la femme et non plus le mari. […] Votre vice aura complètement désorganisé votre famille. […] Elle devait être de bonne famille bourgeoise, mais pauvre. […] Il a une famille de vices dont l’ambition n’est que l’aînée.

321. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (6e partie) » pp. 129-176

La beauté de la princesse transfigurée par la paix intérieure, son innocence de tout ce qui avait dépopularisé la cour, sa jeunesse sacrifiée à l’amitié qu’elle portait à son frère, son dévouement volontaire au cachot et à l’échafaud de sa famille, en faisaient la plus pure victime de la royauté. Il était glorieux à la famille royale d’offrir cette victime sans tache, impie au peuple de la demander. […] Chaste au milieu des séductions de la beauté et de la jeunesse, pieuse et pure dans une cour légère, humble dans les grandeurs, patiente dans les cachots, fière devant le supplice, Madame Élisabeth laissa par sa vie et par sa mort un modèle d’innocence sur les marches du trône, un exemple à l’amitié, une admiration au monde, un opprobre éternel à la république. » Amnistier de tels crimes sous prétexte des nécessités révolutionnaires, ce serait déshonorer à jamais toutes les révolutions, car aucune révolution ne vaut le sang d’un juste ; et quand le juste est une femme, sans autre crime que son nom, sa beauté, son innocence, sa jeunesse, dont on a immolé toute la famille, l’histoire qui atténuerait l’horreur contre ce forfait serait pire que les bourreaux qui le commirent. […] XIII « Une intention droite au commencement ; un dévouement volontaire au peuple représentant à ses yeux la portion opprimée de l’humanité ; un attrait passionné pour une révolution qui devait rendre la liberté aux opprimés, l’égalité aux humiliés, la fraternité à la famille humaine ; des travaux infatigables consacrés à se rendre digne d’être un des premiers ouvriers de cette régénération ; des humiliations cruelles patiemment subies dans son nom, dans son talent, dans ses idées, dans sa renommée, pour sortir de l’obscurité où le confinaient les noms, les talents, les supériorités des Mirabeau, des Barnave, des La Fayette ; sa popularité conquise pièce à pièce et toujours déchirée par la calomnie ; sa retraite volontaire dans les rangs les plus obscurs du peuple ; sa vie usée dans toutes les privations ; son indigence, qui ne lui laissait partager avec sa famille, plus indigente encore, que le morceau de pain que la nation donnait à ses représentants ; son désintéressement appelé hypocrisie par ceux qui étaient incapables de le comprendre ; son triomphe enfin : un trône écroulé ; le peuple affranchi ; son nom associé à la victoire et aux enthousiasmes de la multitude ; mais l’anarchie déchirant à l’instant le règne du peuple ; d’indignes rivaux, tels que les Hébert et les Marat, lui disputant la direction de la Révolution et la poussant à sa ruine ; une lutte criminelle de vengeances et de cruautés s’établissant entre ces rivaux et lui pour se disputer l’empire de l’opinion ; des sacrifices coupables, faits, pendant trois ans, à cette popularité qui avait voulu être nourrie de sang ; la tête du roi demandée et obtenue ; celle de la reine ; celle de la princesse Élisabeth ; celles de milliers de vaincus immolés après le combat ; les Girondins sacrifiés malgré l’estime qu’il portait à leurs principaux orateurs ; Danton lui-même, son plus fier émule, Camille Desmoulins, son jeune disciple, jetés au peuple sur un soupçon, pour qu’il n’y eût plus d’autre nom que le sien dans la bouche des patriotes ; la toute-puissance enfin obtenue dans l’opinion, mais à la condition de la maintenir sans cesse par de nouveaux crimes ; le peuple ne voulant plus dans son législateur suprême qu’un accusateur ; des aspirations à la clémence refoulées par la prétendue nécessité d’immoler encore ; une tête demandée ou livrée au besoin de chaque jour ; la victoire espérée pour le lendemain, mais rien d’arrêté dans l’esprit pour consolider et utiliser cette victoire ; des idées confuses, contradictoires ; l’horreur de la tyrannie, et la nécessité de la dictature ; des plans imaginaires pleins de l’âme de la Révolution, mais sans organisation pour les contenir, sans appui, sans force pour les faire durer ; des mots pour institutions ; la vertu sur les lèvres et l’arrêt de mort dans la main ; un peuple fiévreux ; une Convention servile ; des comités corrompus ; la république reposant sur une seule tête ; une vie odieuse ; une mort sans fruit ; une mémoire souillée, un nom néfaste ; le cri du sang qu’on n’apaise plus, s’élevant dans la postérité contre lui : toutes ces pensées assaillirent sans doute l’âme de Robespierre pendant cet examen de son ambition.

322. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Gil Blas, par Lesage. (Collection Lefèvre.) » pp. 353-375

Quand Laure le fait passer pour son frère et qu’elle le présente sur ce pied à toute la troupe, le respect avec lequel il est reçu par tous, depuis les premiers sujets jusqu’au souffleur, la curiosité et la civilité avec lesquelles on le considère, touchent de près à l’une des prétentions les plus sensibles de ce monde des comédiens d’autrefois : « Il semblait, dit-il, que tous ces gens-là fussent des enfants trouvés qui n’avaient jamais vu de frère. » C’est qu’en effet les comédiens (je parle toujours de ceux d’autrefois), précisément parce qu’ils étaient le plus souvent peu pourvus du côté de la famille, étaient d’autant plus fiers et attentifs quand ils en pouvaient montrer quelques membres comme échantillon. […] Loin de s’améliorer, il arrive, en ce moment d’ivresse, au pire degré de faute où il soit tombé, à l’insensibilité du cœur, à la méconnaissance de sa famille et de ses premiers amis. […] Un esprit qui est aussi peu que possible de la famille de Lesage, et qui se disait, en souriant, plus platonicien que Platon lui-même, M.  […] Montmesnil ne faisait que traduire sous une autre forme le même fonds comique, le même talent de famille. […] Il est aussi joli qu’il est petit, et, quand Lesage est dans le cabinet du fond, il se trouve tout à fait éloigné des bruits de la rue et des interruptions de sa propre famille.

323. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Histoire » pp. 179-240

On a reproché aux auteurs d’avoir placé, en 1789, la société française à Paris, au lieu de l’avoir placée en province ; on a reproché aux auteurs « dont le nom semble révéler une vieille origine provinciale », d’avoir commis ce contresens au mépris des traditions de famille. — Les auteurs ont remonté leur famille : ils ont trouvé en 1789, leur grand-père Huot de Goncourt, non en province, mais à Paris, député du Bassigni à l’Assemblée nationale. […] * * * Aux premiers jours où, dans les agrégations d’hommes, l’homme éprouve le besoin d’interroger le passé et de se survivre à lui-même dans l’avenir ; quand la famille humaine réunie commence à vouloir remonter jusqu’à ses origines, et s’essaye à fonder l’héritage des traditions, à nouer la chaîne des connaissances qui unissent et associent les générations aux générations, ce premier instinct, cette première révélation de l’histoire, s’annonce par la curiosité et la crédulité de l’enfance. […] Bientôt la famille humaine devient la patrie ; et sous les regards satisfaits de cette Providence que les anciens voyaient sourire du haut du ciel aux sociétés d’hommes, les hommes se lient par la loi et le droit, et se transmettent le patrimoine de la chose publique. […] Cette voix même un peu enflée, ces parures de roman qu’elle donne à sa jeunesse, ce rehaussement de sa famille, cette allure moins libre et se guindant devant le public de sa vie, n’est-ce pas le caractère et le goût propre des mémoires d’une comédienne qui se confesse ?

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