Expliquez à un ouvrier, à un paysan les droits de l’homme, et tout de suite il deviendra un bon politique ; faites réciter aux enfants le catéchisme du citoyen et, au sortir de l’école, ils sauront leurs devoirs et leurs droits aussi bien que les quatre règles Là-dessus l’espérance ouvre ses ailes toutes grandes ; tous les obstacles semblent levés. […] Chez Marmontel, Florian, dans toute la petite littérature qui précède ou accompagne la Révolution, dans tout le théâtre tragique ou comique, le personnage, quel qu’il soit, villageois inculte, barbare tatoué, sauvage nu, a pour premier fond le talent de s’expliquer, de raisonner, de suivre avec intelligence et avec attention un discours abstrait, d’enfiler de lui-même ou sur les pas d’un guide l’allée rectiligne des idées générales. […] Des hommes demi-nus ou vêtus de peaux de bêtes sont assemblés sous un grand chêne ; au milieu d’eux, un vieillard vénérable se lève, et leur parle « le langage de la nature et de la raison » ; il leur propose de s’unir, et leur explique à quoi ils s’obligent par cet engagement mutuel ; il leur montre l’accord de l’intérêt public et de l’intérêt privé, et finit en leur faisant sentir les beautés de la vertu435.
« Expliquer le monde par Dieu, songe-t-il, c’est reculer seulement la difficulté. Il reste toujours à expliquer l’existence, sous la forme d’un dieu comme sous celle du monde. » Albert Samain n’a pas mis son espoir dans le ciel vide. […] Le monde s’étonne, et eux-mêmes, s’étonnent, peut-être, plus encore de ces réflexes qui les poussent, à chaque instant, à détourner la tête vers les brumes du passé : Où rêvent, fraternels, les éphèbes antiques Et Narcisse au grand cœur qui mourut de s’aimer, Eux-mêmes ne s’expliquent guère cette obsession à rouvrir : L’Ère auguste des dieux et des amours bizarres, « Bizarres »,, c’est le désaveu qu’ils jugent prudent de s’infliger.
J’appelle un apologue du temps à mon aide pour expliquer leurs désirs. […] Cette action permanente que les femmes exercent ainsi, même sans y tâcher, explique bien des caractères de notre littérature ; mais il me suffit pour l’instant de l’indiquer ; nous la préciserons un peu plus tard en étudiant les effets de la vie mondaine qui est l’intermédiaire ordinaire par où passe cette subtile et puissante influence. […] Le bonhomme se retourne, s’imaginant qu’ils parlent à quelqu’un placé derrière lui, Quand il est bien convaincu que ses fils s’adressent à lui, il faut voir comme il se fâche ; et il faut entendre de quel ton son frère lui explique cette mode du grand monde. « C’est, dit-il, que le terme de mon père est trop ignoble, trop grossier ; il n’y a que les petites gens qui s’en servent ; mais chez les personnes aussi distinguées que Messieurs vos fils, on supprime dans le discours toutes ces qualités triviales que donne la nature, et, au lieu de dire rustiquement mon père comme le menu peuple, on dit Monsieur ; cela a plus de dignité89. » L’ironie est visible, et, dans les pièces de Marivaux, les parents tutoient déjà leurs enfants, ce qui est un acheminement à se laisser tutoyer par eux.
Si j’avais à juger l’école naturaliste française, non dans sa formule, où il entre beaucoup de vérité, non pas même dans l’œuvre de tel ou tel auteur, mais dans l’ensemble des livres qui se réclament du naturalisme, je dirais que son principal défaut littéraire a été de méconnaître la réalité ; je montrerais ce qu’il y a de contraire aux règles de l’observation et de la sincérité, dans le procédé qui consiste à ne peindre de l’homme que les instincts, à supprimer les âmes, à expliquer le monde moral par des causes inégales aux effets, à murer toutes les fenêtres que l’homme, accablé tant qu’on le voudra par la misère, le travail, la maladie, l’influence du milieu, continue et continuera d’ouvrir sur le ciel. […] Mais je n’ai pas à faire ici de critique littéraire, et la seule chose que je veuille expliquer, c’est l’impossibilité de faire entrer le roman naturaliste dans le genre que j’ai appelé : le roman populaire. […] J’en aurai fini avec l’objection de l’incompatibilité entre l’intelligence populaire et la beauté littéraire, lorsque j’aurai expliqué de quelle compréhension il s’agit.
On ne s’expliquerait pas l’attachement de tel ou tel philosophe à une méthode aussi étrange si elle n’avait le triple avantage de flatter son amour-propre, de faciliter son travail, et de lui donner l’illusion de la connaissance définitive. […] J’ai essayé jadis de montrer que, si la première est l’inverse de la seconde, si la conscience est de l’action qui sans cesse se crée et s’enrichit tandis que la matière est de l’action qui se défait ou qui s’use, ni la matière ni la conscience ne s’expliquent par elles-mêmes. […] Mais cette nécessité paraît expliquer les arrêts de la vie à telles ou telles formes déterminées, et non pas le mouvement qui porte l’organisation de plus en plus haut.